Fallou Doumbouya aux nouveaux magistrats : « Soyez justes, mais soyez fermes »

Ce vendredi 16 mai 2025, 200 récipiendaires — admis au concours des auditeurs de justice et élèves greffiers en 2023 — ont prêté serment devant la Cour d’appel de Conakry. À l’issue d’un examen de sortie sanctionnant deux années de formation, sept auditeurs de justice sur les 101 et trois élèves greffiers devront effectuer un stage pratique complémentaire de trois mois. 

La cérémonie s’est tenue en présence du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, des présidents de juridictions, des chefs de greffe, ainsi que des familles des récipiendaires. 

Dès l’ouverture de l’audience solennelle, le directeur général du Centre de formation judiciaire a pris la parole pour solliciter de la cour qu’elle reçoive les récipiendaires et les renvoie dans l’exercice de leurs nouvelles fonctions. 

Dans ses réquisitions, le procureur général près la Cour d’appel de Conakry, Fallou Doumbouya, a rappelé l’article 13 de la loi organique L/054/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant statut des magistrats, ainsi que la portée solennelle et sacrée de la prestation de serment. Il a ensuite attiré l’attention des jeunes magistrats sur la lourdeur de leur engagement : 

« Cette promesse n’est pas un simple passage protocolaire. Elle vous engage dans votre chair, dans votre esprit, et dans la durée. Elle fait de vous non pas de simples agents de la loi, mais les incarnations vivantes de la justice — cette vertu cardinale qui, selon Saint Augustin, fonde la légitimité même de l’État. Là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas de République », disait Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu. 

En Guinée aujourd’hui, vous êtes appelés à être les pierres angulaires de cette République en pleine refondation. Le Centre de formation judiciaire vous a transmis plus que des connaissances : il vous a inculqué une posture, un ethos, un savoir-faire mais surtout un savoir-être. 

Vous avez étudié le droit dans ses arcanes les plus techniques : procédures civiles, procédures pénales, droit administratif, principes constitutionnels. Vous vous êtes confrontés aux réalités du terrain à travers des stages immersifs. 

Mais au-delà de la technicité, vous avez été initiés à ce que j’appelle le “savoir-être judiciaire” : celui qui exige humilité, rigueur, écoute et sens du discernement. Un magistrat ne brandit pas le droit comme une épée ; il le manie avec la sagesse d’un artisan et la retenue d’un sage. 

Hans Kelsen affirmait : “Ce n’est pas la justice qui crée le droit, mais le droit qui rend possible une justice imparfaite mais nécessaire.” Ce droit-là, vous devez l’exercer avec humanité, conscience et discernement. » 

Le procureur général a ensuite poursuivi : 

« Dès demain, vous serez dans les cours et tribunaux du pays. Vous serez attendus, observés, et parfois contestés. Car le juge, par essence, doit être au-dessus des passions, des pressions et des intérêts. 

Votre boussole sera l’impartialité. Votre éthique, la neutralité. Votre force, le silence et l’indépendance. 

Rappelez-vous Jean-Étienne-Marie Portalis, l’un des rédacteurs du Code civil français du 21 mars 1804, sous Napoléon Bonaparte, qui écrivait : “Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois.” Le juge n’est pas un automate du texte, il est un interprète éclairé, un pacificateur, un artisan du vivre-ensemble. 

Vous devez agir avec ce que René Cassin appelait à juste titre la “conscience universelle du juste”. Cela implique de résister à l’arbitraire, de dénoncer l’injustice, et de protéger les plus vulnérables. 

C’est à ce prix que vous mériterez la confiance du peuple. N’oubliez jamais l’adage : “La justice élève une nation, et l’injustice est la honte des peuples.” » 

Il a également évoqué les réformes en cours : 

« La Guinée traverse une phase décisive de son histoire. Le peuple guinéen aspire à une justice forte, crédible et rapide. Cette exigence est légitime. Elle est d’autant plus pressante que la justice constitue désormais, selon la volonté affirmée par le Président de la République, Chef de l’État, Son Excellence le Général d’Armée Mamadi Doumbouya, la boussole qui orientera chaque citoyen guinéen. 

Depuis le 5 septembre 2021, le Chef de l’État a engagé des réformes courageuses pour redonner à l’institution judiciaire ses lettres de noblesse. Cette ambition se traduit également par l’engagement du Garde des Sceaux, dont je salue ici la détermination, la vision et la proximité avec les acteurs judiciaires. 

À travers vous, jeunes magistrats, c’est une nouvelle espérance qui prend corps. Vous êtes les porte-flambeaux d’une justice nouvelle, indépendante, intègre et accessible. » 

Conseils aux nouveaux magistrats et greffiers 

Fallou Doumbouya a ensuite prodigué plusieurs conseils : 

Gardez vos distances avec les tentations de l’avoir (biens matériels), de l’être (orgueil) et du paraître (volonté d’être une “superstar”) ; 

Travaillez avec constance, mettez à jour vos connaissances, et érigez en règle d’or : concertation, consultation, compréhension, contradictoire et cohésion. Lisez la jurisprudence et la doctrine ; 

Respectez les justiciables, qu’ils soient puissants ou humbles. Le respect inspire la confiance ; 

Soyez justes, mais soyez fermes ; 

Souvenez-vous que le silence d’un magistrat est parfois plus éloquent que ses paroles ; 

Incarnez six vertus fondamentales en toute circonstance, dans votre vie publique comme privée : sagesse, courage, humanité, justice, modération et transcendance. 

Il a poursuivi : 

« La robe que vous portez aujourd’hui est le symbole d’un engagement personnel et professionnel. Elle est lourde de responsabilités, mais aussi un manteau d’honneur. 

En guise de conclusion, permettez-moi de citer Nelson Mandela, lui-même avocat et prisonnier de conscience : “Je n’ai pas été libéré pour ne pas être libre.” 

Chers jeunes magistrats, vous n’avez pas été formés pour être asservis, mais pour être les gardiens de la liberté. Cette liberté, c’est celle de la parole juste, du droit équitable, du traitement impartial. 

C’est à cette mission que vous êtes désormais appelés. Allez-y avec foi, avec force, et avec fidélité. » 

Un mot aux élèves greffiers 

Enfin, s’adressant aux élèves greffiers, Fallou Doumbouya a souligné : 

« Durant votre séjour au Centre de formation judiciaire, vous avez acquis : 

– le savoir : la connaissance technique du droit ; 

– le savoir-faire : la maîtrise des procédures, des techniques d’archivage, de notification, de rédaction et d’audience ; 

– et surtout le savoir-être : cette posture éthique empreinte de réserve, de loyauté et de rigueur, sans laquelle aucune justice ne peut prospérer. 

Vous serez les gardiens silencieux des procédures, les témoins discrets mais essentiels des débats judiciaires, les piliers de la mémoire juridique de nos juridictions. 

Votre plume sera l’archive de la justice, votre rigueur, le garant des droits des parties, votre probité, la clé de la confiance du peuple en ses institutions. 

En prêtant serment, vous embrassez une mission délicate. Il ne s’agit pas seulement de classer des dossiers, mais de porter la dignité de la justice, d’interagir avec juges, avocats, justiciables, dans le respect des règles de procédure mais aussi dans l’écoute, l’empathie et l’équité. 

Vous serez confrontés à des cas complexes, à des tensions humaines, à des décisions lourdes de conséquences. » 

Pour conclure, le procureur général de la Cour d’appel de Conakry a officiellement demandé au président de la cour de renvoyer les récipiendaires dans l’exercice de leurs nouvelles fonctions. 

Aliou Diaguissa Sow 

Tél : 627 51 44 41 

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