Tribune-Par une décision en date du 09 août 2021, la directeur de l’Administration pénitentiaire a révoqué le régime de semi-liberté qu’il avait accordé à Monsieur Abdoulaye Bah par une décision intervenue le 16 juillet dernier et qui a été effectivement exécutée le lendemain. Ce qui avait permis à Monsieur Abdoulaye Bah et aux trois autres bénéficiaires de cette décision de quitter la maison centrale après huit mois de détention provisoire et de regagner leurs domiciles respectifs.
Il faut rappeler en effet que c’est par une décision en date du 16 juillet 2021 que le directeur de l’Administration pénitentiaire a décidé de placer en régime de semi-liberté pour raison de santé quatre détenus politiques dont Monsieur Abdoulaye Bah. C’est du moins ce qu’on a essayé de faire croire à l’opinion. Mais on sait que la réalité est toute autre. Les détenus étaient astreints, aux termes du communiqué qui a été lu à la télévision nationale, aux obligations suivantes :
1- Poursuivre les traitements prescrits par leurs médecins personnels ;
2- Déférer à toutes réquisitions de l’Administration pénitentiaire ;
3- Ne pas sortir de de la Ville de Conakry sans autorisation préalable de l’Administration pénitentiaire.
La question de la légalité de cette décision et de la compétence, dans ce domaine, de ce magistrat de l’administration centrale du ministère de la Justice a été largement discutée. Il n’est donc pas opportun de revenir sur ce sujet qui, disons-le, ne manque pas d’intérêt contrairement à ce que soutiennent certains.
Dans la décision du directeur de l’Administration pénitentiaire révoquant le régime de semi-liberté concernant Monsieur Abdoulaye Bah, il lui est reproché d’avoir enfreint aux termes et conditions de ce régime » en se livrant à des appels à la désobéissance civile et des atteintes aux institutions de la République ». Ces reproches ont pour support une vidéo dans laquelle Monsieur Abdoulaye Bah a dit, en substance, que le Président de la République élu est Monsieur Cellou Dalein Diallo et que Monsieur Alpha Condé n’est pas président mais un ancien président.
Ne pas tenir de tels propos faisait-il partie des obligations auxquelles étaient soumis Monsieur Abdoulaye Bah et ses co-détenus placés sous le régime de la semi-liberté ? La réponse est incontestablement non. Il n’existait que trois obligations que le directeur de l’Administration pénitentiaire avait pris soin d’indiquer dans sa décision du 16 août 2021. D’après certains, on avait même pas besoin de d’indiquer à Monsieur Abdoulaye Bah qu’il devait s’abstenir de tenir certains discours dès lors qu’il restait poursuivi. Mais ils oublient qu’en matière pénale et même en droit de façon générale, la règle, c’est la permission et que l’interdiction doit être formellement indiquée de manière explicite. Il n’appartient donc pas à l’individu de cogiter sur ce qu’il doit dire ou faire et sur ce qu’il ne doit pas dire ou faire.
À titre d’exemple, en matière de liberté sous contrôle judiciaire, le législateur a prévu seize mesures. Le juge peut choisir d’assortir la mise en liberté d’un détenu d’une ou plusieurs de ces mesures. Dès lors, ce dernier sait à l’avance que s’il viole la ou les obligations qui lui sont imposées dans le cadre du contrôle judiciaire, celui-ci peut être révoqué, avec pour conséquence sa réincarcération.
Mais en dehors des obligations visées par le juge dans sa décision de mise en liberté sous contrôle judiciaire, aucune autre ne peut être imposée au sujet pénal sauf décision contraire du même juge.
Celui-ci ne peut révoquer le contrôle judiciaire que pour violation des mesures qu’il a fixées.
Dans le cas du régime de semi-liberté, il faut rappeler que, sous certaines conditions, la juridiction de jugement peut décider que la peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la semi-liberté à l’égard du condamné qui justifie un certain nombre de situations ( voir les dispositions de l’article 120 du code pénal).
L’article 121 du même code indique que le condamné admis au bénéfice de la semi-liberté est astreint à rejoindre l’établissement pénitentiaire selon les modalités déterminées par le juge de l’application des peines en fonction du temps nécessaire l’accomplissement de ce qui a motivé le placement sous régime de semi-liberté.
Monsieur Abdoulaye Bah a-t-il refusé de rejoindre ou de demeurer dans l’établissement pénitentiaire dans les hypothèses prévues par la loi ? Ce n’est que son refus de rejoindre ou de demeurer dans l’établissement pénitentiaire qui pouvait justifier la révocation du régime de semi-liberté dont il a bénéficié.
Il est facile de constater que le régime de semi-liberté ne s’applique aucunement aux détenus en attente de jugement. La situation actuelle est un véritable mélange des genres qui a pour effet de placer les détenus politiques à la merci de l’Administration pénitentiaire et, par voie de conséquence, du pouvoir exécutif.
Partant de là, c’est théoriquement au directeur de l’Administration pénitentiaire de définir en toute discrétion, mais aussi en dehors de toute prescription légale et de toute décision judiciaire ce que Monsieur Abdoulaye Bah et les trois autres devraient dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire. C’est la porte ouverte aux abus et à l’arbitraire.
Me Mohamed Traoré
Avocat