Recommandations de la Commission Nationale des Assises (CNA): Quels enseignements ? (Par Ibrahima Sanoh)

En instituant par décret, une Commission Nationale des Assises  sans lui fixer un mandat autre que recueillir l’avis des Guinéens sur «  la vérité et le pardon », il était  admis, c’était ma position, qu’une telle ambiguïté et l’absence des termes de référence  n’auguraient pas qu’un travail satisfait pût être fait par la CNA.

Sur la  réconciliation nationale, nous savions l’existence de recommandations fortes d’une Commission Provisoire de Réconciliation Nationale (CPRN), installée en février 2011 et ayant rendu son rapport en 2015,  qui avaient fait l’unanimité et qui avait appelé à mettre en place par la voie législative une Commission Vérité Réconciliation.

Aussi, nous savions que le délai accordé à la CNA  pour recueillir l’assentiment des Guinéens sur la vérité et le pardon  était si court qu’elle  ne pouvait pas   s’intéresser à un grand nombre de citoyens.   Le format des assises et son mandat posaient en quelque sorte  un problème qui appelait une approche méthodologique alors mal assurée. 

Par ailleurs, nous savions qu’entre la vérité  et le pardon,  il devait exister : la justice à rendre, les réparations à faire ou à recommander. Et aussi, des réformes plurielles qui sont en sorte des garanties de non-répétition des violations des droits humains. 

En rendant  son rapport définitif, le 24 août,  la CNA  a  surpris à plus d’un titre. Dans l’ensemble, ses recommandations sont diverses  et intéresse différents sujets. Une d’elles est controversée (pourtant elle ne devrait pas l’être, car elle n’est ni malveillante, ni inutile) : la réduction du nombre de partis politiques.  Ses recommandations sont acceptables, son travail est méritoire. 

Cela exige   qu’on lui en félicite.  D’abord pour son pragmatisme, puis pour son courage et  enfin pour son humilité.  Elle a accepté  d’écouter même les voix discordantes, de recueillir leurs opinions contraires  et de les intégrer à ses recommandations.  Par ailleurs, elle a su reconnaître les acquis et a préconisé qu’on ne les perde pas. Son rapport déjà accepté par les autorités du pays  doit être vulgarisé.   Pour ma part, il  est intéressant de tirer quelques  enseignements  de ces recommandations.  Ici, je ne retiens que celles  relatives à la réconciliation nationale.  Sujet qui me passionne. 

Enseignement 1 : Mettre en place une commission vérité et réconciliation par la voie législative. 

 D’emblée  on pourrait dire que cette proposition n’a rien de  révolutionnaire et qu’elle est vieille, qu’on la sait déjà. Cela est très facile ! Oui, la CPRN l’avait déjà recommandée.  En la reprenant et en la proposant à nouveau, la CNA reconnaît les limites de son travail. Ce qui est une preuve de courage et d’humilité.  C’est pour cela qu’elle dit qu’une  telle commission devrait se pencher sur les «  questions les plus complexes de notre histoire qui méritent un traitement particulier » afin de nous éclairer.  Elle aurait pu passer outre cette recommandation,  mais elle reconnaît qu’elle ne pouvait pas nous dire qu’elle a recueilli  tous les témoignages nécessaires, qu’elle a consulté toutes les archives nécessaires à la compréhension de notre passé. Elle a alors reconnu les limites du témoignage qui sont : la narration du récit faux, l’oubli, le refus de se livrer,  la capture de la personne muette,  l’indisponibilité  du témoin, etc. 

De toutes ses recommandations, c’est celle-là qui m’a le plus  plu.  Elle est révolutionnaire !  Le caractère révolutionnaire de la recommandation réside dans  le courage dont fait montre  la CNA  en la reprenant. Comme pour dire  que «  la réconciliation exige en premier lieu le devoir de savoir qui passe par la manifestation de la vérité par lé création d’une instance devant la rétablir et par la voie la plus commode qui sied : celle législative. » 

Oui,  certains peuvent penser que les assises n’ont   été qu’une perte de temps comme elles ont débouché  sur des recommandations connues, du moins sur cette question de mise en place d’une commission de réconciliation.  Mais, nous avions risqué de perdre quelques acquis, surtout  un grand acquis. Les assises n’ont pas  été une perte de temps, elles ont permis  que les gens disent ce qu’ils ont subi, ce qu’ils souhaitent, se sentent écouter, se sentent citoyens d’un pays prêt à les écouter et cela a permis une libération émotionnelle qui appelle la catharsis.

Cependant, il faut souligner un problème sémantique dans la formulation   faite par la CNA, elle parle «  des commissions de vérités et de réconciliation ». Une seule commission de réconciliation et plusieurs autres de vérités ?  En effet,  la formulation suggère  qu’il faudra mettre en place, par voie législative, des commissions de vérités  et une autre de  réconciliation.   En réalité, il n’en est  pas ainsi ou il  ne devrait pas  en être ainsi.  La réconciliation   par la quête de la vérité ou des vérités doit être obtenue par l’institution d’une seule et unique commission, celle de la réconciliation nationale ou celle vérité et réconciliation.   C’est vrai, la question de la quête de la vérité est problématique  et suggère, par prudence,   que l’on parle  de vérités, au pluriel. Celles-là peuvent être issues des témoignages «  vérité personnelle »,  issues de confrontations des témoignages «  vérité dialogique  » et enfin   de sources archivistiques, « vérité  factuelle ». 

Outre cette observation, il faut aussi dire que la CNA  ne dit pas ce que doit être mandat de cette   commission à créer par voie législative :   ratione temporis et ratione materiae. En d’autres termes, elle ne dit pas sur quelle période devrait s’étaler les travaux de recherche de la vérité de la commission de réconciliation. De 1958 à nos jours ?  Aussi, ce que doivent  être ses attributions. Je veux parler de ses compétences attributives .  Rechercher la vérité sur les causes, la nature, les conséquences des violations des droits de l’homme ?    

Aussi, la CNA ne dit pas comment une telle commission devrait être composée. Peut-être attache-t-elle peu d’importances à la composition d’une telle commission . Peut-être laisse-t-elle la  liberté au législateur de la meubler à sa guise.  Mais une commission devant établir la vérité sur le passé d’un  pays, s’intéresser à ce que la CNA appelle les cas les plus complexes de notre histoire,, ou aider à améliorer notre compréhension du passé , doit être scientifique, non politique , composée des hommes et des femmes compétents , indépendants et probes. 

Enseignement 2 : Mettre en place  un comité scientifique   qui aura mission d’écrire l’histoire générale de la Guinée. 

Cette autre recommandation est d’une grande utilité. Il faudra à la suite du travail de la commission de réconciliation nationale donner un sens à notre histoire. Il ne s’agira pas de la caricaturer et de la simplifier avec légèretés.  Notre mémoire collective est conflictuelle, et il faudra sortir de ce labyrinthe. Nous avons besoin d’une histoire consensuelle. Seule une commission scientifique pourra nous aider à y arriver. 

Mais la CNA ne nous dit  pas quand est-ce qu’il faudra mettre en place un  tel comité. Avant la commission de réconciliation ? Bien avant que celle-là rende ses  travaux (ses conclusions)  qui  devront servir  de matériaux à un tel comité ?

  En posant ces questions, je ne mets pas en cause la validité de la recommandation, mais soulève  un problème de cohérence d’ensemble. En effet,  c’est à partir des travaux de la  Commission de Réconciliation que l’Histoire Générale de Guinée sera rédigée.   Nous savons  qu’au sein d’un tel comité,  chacun de ses membres  aura son opinion ,  a son opinion sur le passé. 

Et qu’il est possible qu’ils s’accordent  sur une variante historique. Mais ce sera   là, un récit qui leur est propre, fruit de la synthèse de leurs travaux et de leurs compromis. Parlant de compromis, il  pourrait être mou, abscons. Et ce serait dommage que quelques esprits, au prétexte  qu’ils sont les plus éclairés, nous imposent  leur  variante de l’histoire et qu’on veille à l’enseigner. 

Oui, c’est aussi possible qu’on mette en place ce comité scientifique avant même la commission de réconciliation nationale. Mais à quoi servirait la multiplication des institutions, s’il est admis que même en l’absence d’une commission vérité et réconciliation que l’on peut rédiger l’histoire générale de la Guinée pour peu que les membres de ce comité scientifique accèdent à certaines sources documentaires ?  

Ce serait oublier le rôle même d’une commission vérité et réconciliation.  Aussi, ce serait oublier le fait que les  archives ne suffisent pas   à comprendre  notre   passé tant leur  conservation soulève d’autres questions.  Pierre Conesa disait : « Archivez, archivez, il en restera ! »

Nonobstant ces observations, l’importance de  la rédaction de l’histoire générale de la Guinée  est grande. Elle permettra d’éviter aux générations actuelles et futures, l’oubli, la négation, et la falsification. Il serait souhaitable que l’histoire générale de la Guinée soit rédigée en plusieurs volumes dont  un sur le peuplement du pays, un autre sur  la résistance à la pénétration coloniale,  un autre sur l’indépendance, un autre  la période postcoloniale.  Après, une telle entreprise, il faudra entrevoir l’exploitation intelligente de ces travaux et leur intégration  aux programmes d’enseignement du pays. La lumière du passé doit nous guider afin à de nous éviter les itérations de nos erreurs.  

Enseignement 3 :    Déclassifier les archives sur la  Guinée  aussi bien en  Guinée qu’à  l’étranger. 

La Commission vérité et Réconciliation ne pourra pas faire le travail de recherche de la vérité si elle n’accède pas  aux archives classifiées ici et ailleurs , et si elle ne sollicite pas , à travers un pouvoir d’injonction qu’il faudra lui conférer ,  les archives privées .  Or , il se trouve qu’une certaine documentation sur certains crimes que le pays a connus est  classifiée .   Certains documents ont été détruits et beaucoup de concitoyens  ont dans leurs bibliothèques privées , les archives du pays pouvant nous éclairer sur le passé. 

La France, certains pays de l’Est à l’époque soviétique ; certains pays frontaliers, le Sénégal (au l’IFAN), la Côte d’Ivoire, etc.,   possèdent  une documentation importante   sur le passé de notre pays.   Les autorités du pays doivent œuvrer à ce que la Commission de Réconciliation puisse y accéder. 

Enseignement 4 :   Réhabiliter  toutes les victimes  par l’effacement de leurs condamnations  établies en violation de la loi. 

Cette recommandation revêt des implications très grandes.  La notion de violation de la loi   suppose trois (03) choses : (1) le juge   n’interprète pas bien  la loi, (2)  le juge n’applique pas bien la loi , (3)  le juge refuse d’appliquer la loi. 

Si l’on recommande aux autorités , sans aménagement spatial et temporel  de la préconisation , de faire annuler toutes les condamnations en violation de la loi,  on les convie à identifier systématique , jugement après jugement ,  toutes  les condamnations suspectées –ce qui suppose qu’on  puisse le faire – , et aussi les confrontées aux trois conditions de la violation de la loi pour ainsi décider de quel déni de justice casser . 

Cette recommandation vise la réhabilitation des victimes. Mais il n’est pas facile de dire qui est victime et qui ne l’est pas. Avec la surabondance de récits, le problème de récit vrai se pose.

Enseignement 5 :   rendre justice pour lutter contre l’impunité. 

La CNA recommande que certains procès se tiennent.  Elle suppose que l’impardonnable de droit devrait exister pour éviter  que notre société  soit celle de l’impunité.  Alors, elle énumère  les procès à tenir qui sont : ceux relatifs aux évènements de janvier et février  2007, au 28 septembre 2009, août 2012.  Puis, elle parle d’autres crimes   de sang commis lors des manifestations politiques et syndicales pour lesquels il faudra rendre justice. 

Ce qui frappe est l’occultation de certains crimes odieux qui exigent que leurs auteurs soient jugés et punis.   Pour les évènements les plus récents, il serait impertinent de lui faire le procès qui est : elle n’en a rien dit. La raison est qu’elle avait  fini son travail avant leurs survenues. C’est cela un peu la complexité de la question de réconciliation dans notre pays : la liste des victimes s’allonge  et avec le temps  de nouvelles violences surviennent.  

Par rapport à la première et le deuxième Républiques, la CNA ne dit rien par rapport à la justice.  Soit qu’elle suppose qu’il est inopportun de l’évoquer ou que les autorités doivent apprécier elles-mêmes celle opportunité. Pourtant les anciens dirigeants dont les responsabilités, fussent-elles morales, seraient établies dans les violations des droits humains devraient-ils être condamnés  post-mortem ou être frappés  par une damnatio memoriae ? 

Enseignement 6 : Faire des réparations. 

La CNA recommande  incessamment de faire en charge par l’Etat les victimes et les traumatismes auxquels  elles sont confrontées. Aussi, elle recommande que les terres  et bien spoliés  par l’Etat soient rendus à leurs propriétaires ; que la partie carcérale du Camp  Boiro  soit transformée en lieu de  mémoire, que les charniers soient localisés et  rouverts  pour permettre aux familles d’entamer leurs deuils manqués. 

Elle recommande qu’un fonds d’indemnisation soit créé par l’Etat,  que les stèles soient érigés en la mémoire des  victimes, que le rues  soient baptisées en leurs noms, que journées de commémorations se tiennent. Ces recommandations sur les réparations tiennent  compte de plusieurs dimensions : matérielle, cultuelle, religieuse, psychoculturelle.  

Par ailleurs, la CNA  préconise les excuses officielles de la part de l’Etat ;  son rôle dans les violences depuis l’indépendance du pays  est très grand et ses manquements aussi. Par les excuses officielles, il y aura ce que j’appelle le processus de réattribution de la honte.

Les dirigeants non  responsables des crimes passés devraient les reconnaître, les assumer et présenter les excuses de l’Etat  aux victimes et au peuple de Guinée et promettre de tout mettre en œuvre à ce que les droits humains soient respectés.  Mais la présomption irréfragable du pardon quel qu’il soit étant la vérité, il est inenvisageable que les dirigeants  présentent des excuses alors que toute la vérité n’est pas dite.  La Commission de la Réconciliation Nationale doit être mise en place en premier lieu. 

Enseignement 7 : Mettre en place un comité ad hoc de suivi de l’application des recommandations. 

On apprend de nos erreurs. Et un tel comité permettra de suivre  a posteriori la mise en œuvre des recommandations proposées  par la CNA. Ces belles recommandations  sur la réconciliation nationale doivent être observées. Il en va de la réconciliation nationale, de la quête de la paix. 

Ibrahima SANOH 

Citoyen  et auteur. 

Articles similaires