Maintenant que l’euphorie de l’instant est passée, à moi aussi de causer. Sur les réseaux sociaux, tout le monde y est allé de son commentaire subjectivé. Tout le monde y est allé de sa plume sympathiquement dégainée. Même ses coriaces adversaires ont joué la musiquette de fierté. On a sorti les violons mal accordés et on a composé un petit panégyrique à la Balla Fasséké Kouyaté mal inspiré. Pardon de jouer les petits révoltés de palais, les aigris zonards mal lunés. Pardon, faisons un petit arrêt sur images de ce modeste communicant que je me permets humblement de revendiquer. Je sais que certains y verront une manifestation déprimante de courbettes poussées, accouchées de la fornication d’un décret nuitamment signé et d’un opportunisme bêtement tranché par ceux qui pètent plus haut que leur cervelet. Mais vous me connaissez. Lorsque j’ai avalé mon lafidi de fonio de la matinée, plus rien n’a de conséquence sur mon bide bondé, si ce n’est quelques rots et gargouillis que je sers allègrement à mes voisins et invités. Maintenant que j’ai fini avec ces préliminaires asexués, avançons tranquillement sur le chemin de mes orgasmes maîtrisés. Et parlons d’un regard. Un seul regard…
Ce regard. Ce regard. Ce regard-là. Ce regard-là n’est pas fuyant. Il n’est pas innocent. Il raconte un homme impuissant. Pas l’impuissance de celui qui perd ses moyens face à l’adversité. Pas la faiblesse de l’homme traversé de peur et l’expression de la fragilité. Pas la frayeur de celui dont le regard baise la poussière de la honte et de la saleté. Pas le sentiment de l’homme perdu et qui ne sait plus à quel saint se vouer. Ce regard est cousu de vulnérabilité. Vulnérable au sens de celui dont toutes les défenses sont broyées au vu de douleurs insupportées, au su d’un réel de cruauté, au vu et au su d’une attitude qui défie les règles de l’hospitalité, de l’africanité, de la fraternité et de la solidarité. Ce regard. Ce regard. Ce regard-là remonte du tréfonds de celui qui jette une bile féroce. Mais elle est contenue. Elle est retenue. Mais elle n’a rien d’ambiguë. Elle est dix fois, cent fois, mille fois comprimée, réprimée, saisie de mille feux par la puissance de l’humanité. C’est ce qui nous différencie de l’animal écervelé. Notre capacité à retenir notre animalité, même lorsque tout nous commande d’envoyer tout valdinguer. Parce que tout commandait justement au colosse du 05 septembre de tout écraser, broyer, laisser tout en lui exploser pour tout briser. À défaut ce que ce soit de ses bottes courroucées, mais d’une parole irritée. Mais tout est resté comprimé et réprimé, en lui, pour lui, emprisonné et embastillé dans ce regard puissamment affiché.
Il paraît que les yeux sont les fenêtres de l’âme. C’est ce qu’on dit. Il paraît que les yeux sont une porte ouverte sur le cœur. C’est ce qu’on raconte. Si ce qu’on dit est vérité, si ce qu’on raconte est vérifié, alors l’âme du Président ne pouvait être que tourmenté, son cœur ne pouvait être que déchiré. S’il tenait par la force de ces jambes férocement dans le sol, plantées, elles tenaient par la puissance d’une conviction clairement revendiquée : celui d’un panafricanisme célébré. Il l’a dit et répété. Ce qui est arrivé, ce « n’est ni acceptable, ni normal ». Et il a juré : Il ira chercher les Guinéens persécutés. Il le fera parce que c’est son devoir sacré. Il le fera au nom de la place qu’il a prise en toute responsabilité. Il le fera, le colonel. Il le sera, le Président interpellé par la force d’une conscience d’être au service de la Guinée. Et son regard. Son regard. Son regard-là le raconte en toute simplicité, même courroucé, même révolté, même démultiplié, même… même… même bouillant jusqu’à l’ultime cime du crâne rasé surmonté du béret.
L’homme qui est arrivé sur le tarmac au soir ce premier convoi, c’est un homme qui a froid. Pas la froideur de celui qui se fiche pas mal de ce qu’il voit. Non, pas cette froideur-là. Pas la froideur non plus d’une glace indifférente au soleil qui la boit. Pas cette froideur sans consistance et sans poids. Pas cette froideur qui se plante là, qui reste coi, au milieu des pics des corps bouffés de la honte des sans foi. Pas cette froideur qui pue, qui tue et qui ensevelit nue la compassion et qui fait poussière de toute humanité et la noie. Ce soir-là, en arrivant sur ce tarmac d’effroi, quand il gonfle sa poitrine de cette longue inspiration et ces bras bloqués sur ces hanches, il n’avait à l’égard de ses compatriotes qu’un choix : des accolades qui presque broient et des propos courtois. « Bienvenue à la maison ». Et ce regard-là. Main droite ployant sous le menton supporté du bras gauche croisé ce soir-là… Et ce regard et la main agitée sous la rigueur d’un menton sans joie, cette main qui dit au revoir en grimpant son véhicule les crocs serrés… et le ventre noué… et le cœur brisé mais serré… et le corps raidi et bandé… et l’âme mille fois convulsive… Ce soir-là, les yeux du Parrain ont écarté les rideaux de son âme rétive aux sourires narquois face à la violence sur ces compatriotes débarqués du froid.
Et ce regard. Ce regard. Ce regard-là. Il me fallait le dire. Il m’était impossible de ne pas le dire. Au moment où chaque geste du colosse donne à chérir ou à flétrir, prêter à sourire ou à moquer, je voulais dire ce regard empli de silences qui racontent que la Guinée a repris une part essentielle de sa dignité et du respect qui lui ont toujours été dû. Et maintenant que j’ai dit ça et que potentiellement cela va probablement rompre une gaine insensée causettes de bas étages, mais qu’on s’en fiche comme de la bande du premier pansement du machin d’un circoncis, je ferme ma gueule et je dégaze… euh je voulais dire je DÉGAGE !
Soulay Thiâ’nguel