Le 05 septembre 2021 et les semaines d’après, l’amour passionnel entre le colonel Mamadi Doumbouya et une grande partie de la population guinéenne paressait tellement parfait que certains peuvent penser que c’est le peuple qui a destitué Alpha Condé. Cette opinion est très proche de la vérité même si elle peut heurter les démocrates qui tiennent à faire le distinguo entre la foule que toute le monde peut avoir dans la rue et le peuple qu’on retrouve dans les bureaux de vote.
Les Guinéens étaient un peuple étranglé et pris en otage par un système imperméable à tout progrès. Le désastre était aussi bien le fait que le président Alpha Condé tentait de s’accrocher au pouvoir que le drame d’avoir une opposition mal inspirée et démunie, une société civile constituée majoritairement de politiciens encagoulés et d’institutions moribondes inféodées.
Les premiers discours des nouvelles autorités ainsi que leurs premiers actes teintés parfois d’une sorte de volonté d’humilier les anciens du régime tombé, ont été de bons ingrédients agrémentant l’adhésion de cette opinion naïve et passionnée dont on venait de briser les chaines. Mais depuis bientôt des années, dure un désamour persistant qui a trouvé place entre les autorités de la transition et cette opinion jadis acquise. Le fossé entre le colonel président et cette opinion publique ne fait que s’agrandir, hélas.
Au début, à chaque fois que son régime ou le système judiciaire dont la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières) s’en prenait à un cadre politique, il se mettait à dos une partie des militants et partisans. Mais depuis que le mal a commencé à être commun, depuis que nous avons commencé à manquer presque de tout, le colonel Doumbouya et son régime voient peu à peu toutes quasiment les forces politiques se mettre d’accord.
Ce qui arrive parfois à l’homme du 05 septembre est, hélas, une injustice qui se pose en termes de piège sous les pieds de tout nouveau venu. La ferveur que vous suscitez dans l’opinion pousse certains à des engagements que personne ne retient. Il y en a qui se laissent pousser par leur émotion jusqu’à dire qu’ils mourront pour vous. Mais, malheureusement, ce sont vos engagements qui sont retenus et qui seront rappelés. Et, des engagements, le tombeur d’Alpha Condé en a fait dans cette atmosphère de ferveur quasi générale. De nos jours, on ne retrouve plus ces jolies demoiselles qui embrassaient soldats et engins au passage du cortège du Colonel libérateur.
Interdiction des manifestations, repressions ayant fait déjà des dizaines de morts en deux ans, dégradation de la desserte en électricité, discours méprisants de certains ministres, volonté apparente de se maintenir au pouvoir, persécutions judicaires, censure de la presse et des réseaux sociaux, persistance des détournements de deniers publics, abus et tant d’autres maux ont conduit à l’effritement de l’amour entre le régime actuel et son opinion publique du 05 septembre 2021.
En décembre dernier, alors que beaucoup se préoccupaient encore des dégâts de l’incendie au dépôt d’hydrocarbures de Kaloum, des accrocs de la communication politique y voyaient une opportunité pour le président de renouer avec cette opinion de plus en plus déçue. Les périodes d’émotion à la suite d’une tragédie nationale sont assez souvent fertiles à la bonification de la popularité des leaders. Mais hélas, la gestion de cette situation a plutôt exacerbé la tension entre cette même opinion publique et son président qu’elle avait adoubé il y a juste deux ans.
Cette réconciliation prend du temp à venir mais elle reste possible et nécessaire pour le colonel Mamadi Doumbouya. L’avantage politique dont le président du CNRD est nanti est qu’il n’a besoin ni de sondage ni d’aller chez un charlatan pour savoir ce qu’il lui faut pour renouer avec cette opinion. Cela est un grand avantage mais à condition d’abord qu’il réalise la fissure qu’il y a et qu’il exprime le désire d’y remédier. Et ça, les obstacles sont ceux qui, dans son entourage, pourraient l’avoir mis dans une bulle en lui faisant croire que tout va bien comme le 05 septembre 2021, qu’il n’y a que des militants de l’UFDG et du RPG qui s’agitent.
Le respect des engagements de départ à savoir : une transition inclusive pour un retour à l’ordre constitutionnel sans discrimination, plus personne ne meurt pour ses opinions ou pour la politique, pas de personnalisation du pouvoir, qu’aucune situation exceptionnelle ne justifie la violation des droits…
Thierno Amadou M’Bonet Camara (Rescapé N°4)
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