Journée mondiale des télécommunications 2025, bilan et perspectives pour l’Afrique (Cas de la Guinée) ? (Par Mamadi Kaba)

La journée mondiale des télécommunications et des sociétés de l’information est à la fois une date commémorative qui marque la signature de la première convention télégraphique internationale en 1865 à Paris et la voie à la coopération et à la diffusion intercontinentale des technologies de l’information et de la communication. Elle est par ailleurs une journée de réflexion, de bilan et de perspectives sur le développement des TIC et des domaines connexes comme le développement et l’économie numérique dans le monde.

Cette année, ladite journée, est placée sous le thème : « l’égalité des sexes dans la transformation numérique ». Ce thème met en avant la réflexion sur l’égalité des chances dans l’accès aux services et opportunités entre les sexes dans le domaine du numérique et des TIC mais aussi la réduction de la fracture numérique entre les hommes et les femmes dans le monde où 65% des femmes utilisent l’internet contre 70% des hommes selon le dernier rapport annuel sur ‘l’état du développement numérique en Afrique’ de l’Union internationale des télécommunications en date d’avril 2025.

Dans la même lancée, l’UNFPA à mener une étude en 2023 qui stipule que 38% des femmes ont été au moins une fois victimes de harcèlement en ligne. Ces statistiques appellent les pouvoirs publics à plus d’action particulièrement ceux du continent africain et fondamentalement ceux des pays considérés comme les plus défavorisés (Pays les moins avancés) dont est membre la Guinée depuis 1971.

La fracture numérique en fonction du genre, des milieux ruraux et des personnes à faible revenu est plus considérable dans ces pays par rapport à la moyenne mondiale. En effet, 43% des hommes sont connectés à internet contre 31% des femmes en Afrique, une disparité à deux chiffres (2) qui fait traîner le continent quant à l’atteinte des objectifs de la résolution 1416 sur l’égalité des chances dans la transformation numérique du Conseil de l’UIT.

La fracture numérique entre hommes et femmes en Afrique s’explique d’abord par les disparités socio-économiques existentielles comme l’écart du revenu moyen entre hommes et femmes, le coût élevé de l’internet mobile qui est évalué en 2024 comme étant 14 fois plus élevé en Afrique qu’en Europe, ainsi que tant d’autres facteurs sur le plan macro qui accentuent les inégalités d’accès aux services et opportunités dans la transformation numérique.

En plus de l’écart économique, il existe d’autres facteurs exogènes au secteur de l’économie numérique comme l’analphabétisme numérique (illectronisme) des populations en général et du genre féminin par rapport à celui masculin en particulier, la vulnérabilité des infrastructures de connectivité, l’absence de politiques efficaces et efficientes d’accès aux services universels et de lutte contre la fracture numérique. Tous ces facteurs empêchent l’Afrique d’être à l’heure de l’égalité des sexes dans la transformation numérique.

Du point de vue des infrastructures numériques, plus de la moitié des pays africains font face aux défis non résolus d’accès à internet au moindre coût estimé à 2% du Revenu national brut pour une data mobile de 2Go/mois par la commission des Nations unies sur le haut débit.

La République de Guinée est à 3,15% du RNB par habitant en considérant le montant de 1360 $ comme étant le RNB annuel par habitant. Ces indicateurs prouvent suffisamment le retard des pays africains dans la réduction des disparités et freins socio-économiques à la transformation numérique de leur continent et de leurs pays.

Quel diagnostic pour le secteur de l’économie numérique en République de Guinée ?

Avec des obstacles structurels au développement et à l’émergence, la Guinée fait partie de la catégorie des pays les moins avancés de la planète mais aussi les moins avancés sur le plan du développement numérique et des hautes technologies. L’un des rares indicateurs appréciables du pays entre 2020 et 2024 est l’amélioration de son indice de développement de la gouvernance électronique (EGDI) qui est passé de 0,300 à 0,400 au cours de la période susmentionnée. Malgré ce passage approximatif à la moyenne régionale de 0,405, beaucoup de réformes restent à mener pour atteindre un niveau de gouvernance électronique capable d’impacter les citoyens à travers des services publics en ligne. L’EGDI mesure les capacités d’un État à digitaliser son administration et ses services publics tout en faisant profiter les citoyens des retombées. Cependant, il faut noter que ce domaine spécifique représente une petite portion de la transformation numérique.

 La Guinée fait face à une déstructuration de son économie numérique entraînée par la baisse des investissements, la réduction de la compétitivité, l’incapacité de la réglementation et de la régulation à passer du G3 au G4 des pratiques et normes réglementaires et de régulation à l’image de ses paires des PMA à l’exception du Burkina Faso et de quelques rares autres membres.

Si l’on se base sur les indicateurs de mesure de la réglementation et de la régulation regroupés dans le « ICT REGULATORY TRACKER », cette position de G3 du pays sera probablement remise en cause cette année à cause de la problématique d’investissement et de la baisse de compétitivité du moment qui n’arrive pas à être résolue grâce aux instruments légaux, règlementaires et aux politiques publiques actuels, lesquels instruments peinent aussi à être réadaptés par le pays.

Fig. 1 : Générations de réglementation de G1 à G5 par l’UIT

Diagnostic général de la régulation des TIC et de la Compétitivité en Guinée :

D’un secteur libéralisé de la téléphonie des années 2000 et hautement compétitif à un état de monopole de fait, les défaillances de régulation et de gouvernance du secteur des TIC et de l’économie numérique ont été la cause principale de la situation de monopole totale que connaît la téléphonie guinéenne avec 91,7% de part de marché détenu par un seul opérateur au 2ème trimestre de l’an 2024. Une réalité qui s’aggrave jour après jour car aucune réforme n’est constatée à date dans ce sens.

La force de l’économie numérique de la Guinée se trouve dans la géographie même du pays. Un pays à littorale qui fait frontière avec deux pays enclavés, une aubaine pour sa transformation numérique et l’économie sectorielle qui en découle. Cette force peine à être exploitée à cause d’énormes faiblesses qui restent l’absence du capital humain conséquent et efficace, l’absence de consultation publique entraînant une gouvernance unilatérale, l’incapacité du pays à mettre en œuvre ses propres stratégies et politiques publiques qu’il met en place, ainsi que l’incapacité du pays à stimuler et attirer les investissements privés dans son économie numérique.

En plus des barrières légales et de gouvernance à l’entrée du marché des différents segments de l’économie numérique guinéenne, le poids du monopole actuel dans la téléphonie et l’incapacité juridique et institutionnelle à contrôler et réguler la concurrence sur l’ensemble des domaines constitutifs (commerce électronique, téléphonie, IA, gestion des déchets électroniques, FAI…), la compétitivité numérique du pays peine à être appréciable.

Investissement et transformation numérique

En plus de politiques publiques efficaces, la transformation numérique d’un pays est quasi impossible sans les investissements financiers et une compétence numérique nationale élevée. Le premier permet d’obtenir des infrastructures et des services et le second permet aux populations de saisir les opportunités et services numériques offerts par les investissements pour créer de la richesse et d’autres valeurs ajoutées.

Entre 2010 et 2020, le pays a connu près de 300 millions d’investissement public spécialement dans les infrastructures comme la ‘Dorsale nationale à fibre optique’, le ‘Save City’, un ‘Centre de données national de tiers 3’, des ‘Infrastructures d’Interconnexion de l’administration centrale. Malgré l’échec des stratégies et actions visant à exploiter efficacement la plupart de ces infrastructures, il faut reconnaître que cette période est la plus remarquable de l’histoire et de l’évolution des technologies numériques en termes de mobilisation de ressources publiques. Ces quatre (4) dernières années, l’on peine à mobiliser les ressources publiques afin de financer certains besoins en développement numérique du pays.

Concernant les investissements privés, ils sont majoritairement dirigés dans les segments de fourniture d’accès à internet et de la téléphonie mobile laissant en marge l’entreprenariat et l’innovation numérique, la recherche et les technologies avancées comme l’IA, le développement du commerce électronique et tant d’autres. Les peu d’investissements privés drainés par la téléphonie et les FAI sont aussi disproportionnels pour créer de la croissance et de la concurrence. Cette analyse se confirme par l’interprétation du dernier rapport annuel de l’Autorité de Régulation des Postes et télécommunications qui confirme une disparité considérable entre les investissements annuels des différentes entreprises évoluant sur les différents segments. Sur le segment de la téléphonie mobile par exemple, le premier opérateur est à près de 100 millions $ d’investissement annuel pendant que le second opérateur peine à comptabiliser les 10 millions $ d’investissement annuel. Cette disparité se creuse car cette année, un seul opérateur investi en CAPEX sur les quatre (4) opérateurs juridiquement présents sur le marché guinéen de la téléphonie mobile.

Aujourd’hui, la redynamisation du secteur de la téléphonie mobile par l’entrée de nouveaux investisseurs ayant des capacités techniques et financières à l’image des G6 du continent est d’une nécessité capitale.

Gouvernance de la Cybersécurité

En 2016, la Guinée s’est dotée de son tout premier cadre réglementaire en matière de Cybersécurité à travers la promulgation de la l/037.Elle a aussi créé une agence en charge de la mise en œuvre des politiques publiques en matière de Cybersécurité. Cependant, le pays manque de moyens techniques et opérationnels pour à la fois la sécurisation, le contrôle et la supervision de l’espace virtuel, elle est surtout en carence de moyens opérationnels pour prévenir et lutter efficacement contre la cybercriminalité à l’image de la lutte contre les arnaques et les harcèlements en ligne dont plusieurs femmes et jeunes filles sont victimes dans le pays.

En faisant une analyse comparative entre la Guinée et quelques pays de la sous-région à travers le ‘Global Cybersecurity Index’, il ressort que la Guinée doit améliorer considérablement sa capacité opérationnelle, organisationnelle et sa coopération internationale en matière de Cybersécurité.

Fig.2-3 : Performance IGC de l’UIT pour la Guinée et le Ghana

Perspectives et Réformes proposées par l’auteur : Guinée et Afrique

Pour répondre aux défis d’égalité des chances dans la transformation numérique que pose le thème de la journée mondiale des télécoms de cette année, les pays doivent d’abord améliorer le niveau de scolarisation des jeunes filles, encourager les jeunes filles à aller vers les filières axées sur le numérique et les technologies avancées à travers des bourses spéciales pour elles. Pour les pays comme la Guinée qui ne possèdent pas de stratégie nationale de renforcement de compétence numérique, ils doivent en mettre en place et s’octroyer les moyens techniques et financiers pour la mise en œuvre de ladite stratégie qui peut aller de 3, 5 ou 8 ans selon de diagnostic et la vision stratégique.

Avec les objectifs de développement durable que le monde se fixe pour une meilleure planète à léguer à nos successeurs sur terre, la durabilité s’annonce comme étant un nouveau défi dans la transformation et le développement numérique de nos pays. Et là, les pays africains pour la plupart restent à la traîne par manque de ressources humaines averties et compétentes à cet effet. Il est aujourd’hui indispensable pour nos pays d’évaluer leur émission en déchets électroniques, de se doter de politiques publiques en matière de gestion des déchets électronique, de mettre en place une réglementation et des institutions de régulation et de contrôle, et surtout mettre en place un cadre de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les déchets électroniques.

Une économie numérique résiliente et efficiente est d’abord une économie animée par la durabilité.  Une gestion organisée et structurée des déchets électroniques constitue au-delà de la durabilité, un contributeur essentiel à la mobilisation des ressources financières internes. Pour la Guinée qui doit amener son assiette fiscale à la baisse et déverrouiller les barrières à l’attractivité des investissements privés dans son économie numérique, le développement du commerce électronique et la création d’une chaîne de valeurs électroniques sonnent comme des alternatives quant à la compensation des pertes financières que pourraient occasionner les réformes précitées.

En Afrique, il est essentiel d’’accélérer son accès à la connectivité au haut débit et aux infrastructures numériques modernes, investir plus dans la recherche scientifique, technologique et académique sur les technologies avancées afin d’espérer être partie prenante de la nouvelle révolution technologique mondiale.

Je profite de cette tribune pour proposer aux pouvoirs publics du continent, la création d’une organisation africaine indépendante collaborant avec l’UA et l’ensemble des pays du continent sur la transformation numérique et l’accès aux technologies avancées en Afrique. Ladite organisation aura pour mission la mobilisation des ressources intellectuelles, techniques et financières permettant à l’Afrique de réduire la disparité qui existe entre elle et le reste du monde en matière de développement technologique et numérique. Les défis actuels du développement numérique du continent dépassent les seules compétences des différentes directions et commissions de l’Union africaine en la matière et nécessite une synergie d’ensemble pour lever certains obstacles.

KABA MAMADI

Expert des Télécommunications &Spécialiste du développement Numérique

Auteur des livres : « Les Freins du développement Numérique en Guinée et ma Vision » ET

« Parvenir à un développement numérique de la Guinée à l’horizon 2030 »

Email : kaba00900@gmail.com

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