Le 19 mai 2025, un incendie s’est déclaré au cœur du marché de Kankan, derrière l’hôtel Batè. Des dizaines de boutiques consumées, des vies de commerçants réduites en cendres, et une scène tristement familière : aucun extincteur, aucune alarme, aucun plan d’évacuation. Le drame a duré des heures, aggravé par l’absence totale de moyens de première intervention.
Cet événement, au-delà de son émotion immédiate, pose une question cruciale : que faisons-nous réellement pour protéger nos marchés, nos écoles, nos hôpitaux ? Combien de tragédies faudra-t-il encore pour comprendre que la prévention incendie doit devenir une priorité nationale ?
Kankan n’est pas un cas isolé : une liste noire qui s’allonge
Depuis 2021, la Guinée est secouée par une série de sinistres majeurs :
• Marché de Madina (février 2021) : plus de 1 500 boutiques ravagées ;
• Hôpital Ignace Deen (août 2022) : service néonatal sinistré ;
• Marché de Koloma (juin 2023) : destruction de dizaines de stands ;
• Marché de Kankan (mai 2025) : encore des pertes lourdes.
Sans compter les incendies dans des écoles de Kindia, Fria ou Conakry, souvent passés sous silence, mais tout aussi révélateurs de notre vulnérabilité structurelle.
Un système inflammable, sans bouclier réglementaire
Le marché de Kankan, comme tant d’autres, illustre un triptyque à haut risque :
1. Installations électriques anarchiques ;
2. Accumulation de matériaux inflammables ;
3. Aucune voie d’évacuation ou de plan de secours connu.
Selon la Direction Générale de la Protection Civile, en 2022 :
– 85 % des marchés urbains ne disposent d’aucun système d’alerte incendie ;
– 72 % des écoles publiques sont dans la même situation.
Et pourtant, aucune norme nationale n’oblige aujourd’hui les établissements recevant du public (ERP) à se conformer à des standards minimaux de sécurité.
Ce qu’il faut faire, maintenant – pas demain
Si le drame de Kankan doit servir à quelque chose, c’est d’éveiller enfin les consciences et de provoquer une mobilisation d’envergure autour d’un plan national de sécurité incendie :
• Audits de sécurité obligatoires dans tous les marchés, hôpitaux, écoles d’ici fin 2025 ;
• Adoption rapide d’un référentiel national pour les ERP, aligné sur les bonnes pratiques africaines ;
• Formation massive : 100 000 personnes formées d’ici 2026 aux gestes essentiels (utilisation d’extincteurs, évacuation, alerte) ;
• Inspections techniques régulières, confiées à des entités indépendantes et qualifiées.
Coût estimé ? Bien inférieur aux pertes déjà subies. Le Maroc et le Sénégal ont montré que c’est faisable. Il suffit d’en faire une priorité.
Kankan doit être un tournant, pas une fatalité de plus
Chaque marché brûlé affaiblit l’économie locale. Chaque hôpital menacé fragilise notre système de santé. Chaque école sinistrée compromet l’avenir de nos enfants.
Kankan doit marquer un tournant. La Guinée ne peut plus continuer à “constater après” : elle doit anticiper, équiper, réglementer, et former. Ce n’est pas une dépense : c’est un investissement vital.
Kankan ne doit pas être une énième catastrophe oubliée. Nous ne pouvons plus attendre que chaque ville connaisse sa tragédie pour réagir. Prévenir l’incendie, c’est protéger nos vies, nos emplois, nos équipements publics. C’est protéger notre avenir collectif.
Il est temps de faire de la protection incendie une priorité nationale, au croisement des politiques d’éducation, de santé, d’économie et d’aménagement urbain.
Par Mohamed KOUYATE, Expert en Sécurité Incendie, Spécialiste en Changements Institutionnels, Risques et Vulnérabilité Sociale