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Kaly Diallo, activiste des droits humains: « l’année 2020 a été très sombre en matière de droits humains… » (Interview)

Dans un entretien accordé à un groupe de journalistes dont une de Guinee114.com ce vendredi, Mamadou Kaly Diallo, activiste des droits humains s’est prononcé sur la situation des droits de l’homme en Guinée. De la violation du droit de manifestation, à la liberté à d’opinion en passant par les arrestations arbitraires et les détentions illégales, Kaly Diallo dresse un bilan sombre en matière de respect des droits de l’Homme en Guinée pendant l’année écoulée.

Quel bilan faites-vous de la situation des droits humains en Guinée ?

Kaly Diallo: Faire le bilan des droits humains en Guinée en 2020 revient à un exercice très difficile dans la mesure où ce milieu a été sérieusement affecté pendant l’année 2020. À commencer par une restriction des libertés, la violation d’un des droits les plus précieux en matière de droits de l’homme, c’est l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme, la liberté d’opinion, la liberté de rassemblement. Dès au départ avec la mise en place du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), le gouvernement avait pris une décision d’abord d’interdire les manifestations. Ce qui viole la liberté d’opinion alors que ce sont les libertés les plus fondamentales en matière de droit de l’homme.

Deuxième aspect, il y a eu ces multiples atteintes aux vies humaines. Il y a eu l’usage abusif de la force, des maintiens d’ordre disproportionnés qui ont entraîné beaucoup de pertes en vies humaines. Le comble, même un cortège funèbre fut attaqué, c’était du jamais vu en Guinée et un peu partout. Un ambulancier a été tué à Labé alors que les lieux de culte, les lieux sanitaires et para sanitaires et les cortèges funèbres sont sacralisés même en état de guerre. Il y a aussi eu beaucoup de destructions de biens publics et privés. Hors en matière de droit de l’homme, l’une des obligations fondamentales de l’État c’est de protéger les personnes et leurs biens. Cela suppose que non seulement les édifices publics et privés doivent être garantis mais aussi et surtout qu’on peut arriver à un maintien d’ordre sans faire atteinte à la vie humaine. Bref, l’année 2020 a été cette année de violations multiples et graves de droits humains. Et le comble c’est lors du double scrutin législatif et référendaire controversé du 22 mars 2020 pendant lequel il y a eu des dizaines de morts, beaucoup d’arrestation. Le comble c’est qu’il y a eu des fausses communes à N’Zérékoré le lendemain de ce double scrutin et la dissimulation des preuves parce qu’il y a une culture de l’impunité.

On a vu le cas de l’élection présidentielle de 2020 avec une violence inédite qui relève aussi des violations des droits humains. On a assisté à des restrictions des libertés des leaders politiques, de la société civile, des arrestations arbitraires, des détentions illégales alors que dans un État de droit, le processus équitable est un devoir.

En matière de droit, la forme commande le fond. À partir du moment où l’arrestation d’un citoyen n’obéit pas aux règles préétablies, ça devient une arrestation arbitraire et cette détention qui en découlerait est forcément une détention illégale. Ce qui est très nombreux de nos jours en Guinée.

Bref, l’année 2020 a été vraiment sombre pour la promotion et la protection des droits de l’homme en Guinée.

L’autre violation grave des droits  de l’homme dont nous  sommes en train d’assister en Guinée, c’est la mort en détention. D’abord je précise que la mort en détention peut ne pas être une violation, elle peut être naturelle. Mais ceux à quoi nous sommes en train d’assister en Guinée constituent des violations des droits de l’homme. On a vu le cas de Roger Bamba, Mamadou Lamaran Sow, Mamadou Oury Barry et deux autres détenus à Labé. Quand les autorités ne prennent pas les dispositions nécessaires pour faire la lumière, identifier les causes exactes et éclairer l’opinion, cela veut dire que les autorités deviennent complices. Et dès que c’est le cas, ça constitue une violation grave et systématique des droits de l’homme. Hors en matière des droits de l’homme, même un inculpé jouit des principes de présomption d’innocence. Et les autorités guinéennes doivent savoir qu’un détenu est un humain, un citoyen. Actuellement d’ailleurs, la question c’est comment humaniser les maisons d’arrêt. En principe, un détenu doit jouir de tous ses droits excepté celui d’aller et de venir. Quand il y a des allégations de tortures, les autorités doivent mettre en place une commission d’enquête indépendante malheureusement ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est une indignation. Je dénonce avec la dernière énergie cet état de fait et j’appelle le gouvernement à prendre des mesures urgentes pour ce cas. Par exemple, la maison d’arrêt de Conakry est construite avec une capacité de trois cent personnes. Aujourd’hui on est à plus de mille personnes. Donc il faut voir toutes les personnes qui peuvent jouir de la liberté sous condition, qui sont accusées de droit commun de les mettre en liberté et mettre une commission d’enquête indépendante pour identifier les causes exactes de la mort de ces citoyens guinéens en détention et ça y va même de l’image de marque du gouvernement guinéen parce les autres organisations de défense des droits de l’homme s’indignent. C’est inacceptable en matière de droits humains et ça constitue une torture psychologique auprès des parents des victimes.

Quelle comparaison faites-vous entre les 24 ans du régime militaire de Lansana Conté et les dix ans de gouvernance de l’intellectuel Alpha Condé en matière de respect des droits humains ?

Ça fait mal. C’est une préoccupation majeure dans la mesure où tous les mouvements sociaux pour la promotion des droits de l’homme, l’actuel président à l’époque opposant était présent. Il y avait beaucoup d’attentes quand le président de la République venait au pouvoir surtout dans le respect des droits humains et l’instauration d’un véritable État de droits. Mais malheureusement, ça c’est une espérance déchue de nos jours. Certes, théoriquement, il y a eu des avancées parce qu’on a eu une loi sur le maintien d’ordre et à un moment donné dans le cadre de la réforme des forces de défense et de sécurité les militaires étaient complètement effacés de cet exercice. Malheureusement, on les voit revenir avec l’actuel Premier ministre par l’installation des PA. La mise en place d’une institution républicaine en charge de la promotion et la protection des droits de l’homme même si ça obéissait aux principes de Paris qui ont défini ça clairement de façon internationale, c’était perçu pour nous comme étant une avancée, comme étant des signes de bonne volonté. Malheureusement, la pratique sur le terrain c’est autre chose. On n’en avait jamais vu aussi de violations en matière de l’exercice des droits fondamentaux en Guinée au temps du régime de feu Lansana Conté. Un tel nombre de morts pendant des manifestations et puis sans que la justice ne se bouge. Cela veut dire qu’il y a un manque d’impunité garanti pour les présumés auteurs de ces violations. Donc c’est un manque de volonté politique réelle d’aller vers la cessation de ces crimes.

Il y a aussi que la réquisition de l’armée…

Les principes standards de maintien d’ordre disent que le premier corps concerné c’est la police et quand elle est débordée on fait appel à la gendarmerie et quand ça ne va pas on fait appel à l’armée. Mais quand l’armée est réquisitionnée, cela veut dire qu’on n’est plus dans un État normal, on est dans un État d’urgence ou l’État de siège. C’est un abus d’autorité. Il faut aller à l’éthique et au respect des institutions républicaines. Tant que nous n’arriverons pas au respect des droits fondamentaux de l’homme, il y aura toujours des violences. Koffi Annan a dit qu' »il n’y a pas de développement sans paix, il n’y a pas de paix sans sécurité et il n’y a ni paix, ni sécurité, ni développement quand les droits de l’homme sont bafoués ». C’est le fer de lance de tout développement.

Propos recueillis par Diop Ramatoulaye

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