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Bras de fer entre Dr Bernard GOUMOU et Charles WRIGHT : l’ancien bâtonnier maître Mohamed TRAORÉ fait son analyse

Le 13 février 2024, le Premier ministre a adressé au ministre de la Justice un courrier relatif à  » l’ouverture d’enquêtes contre les DAF, les Directeurs Généraux des EPA et les gestionnaires des Collectivités Décentralisées  »

Comme il fallait s’y attendre, le Garde des Sceaux, a, du tac au tac, répondu au courrier du Chef du Gouvernement. Tout cela est intervenu le 13 février 2023. La date est importante car elle permet de montrer l’immédiateté de la réaction du ministre.

Avant de faire quelques observations sur ces courriers, il est à regretter que le Premier ministre demande au Garde des Sceaux  » de susprendre toutes les procédures engagées dans cette affaire… ».

En effet, une fois qu’une procédure judiciaire est engagée, le ministre de la Justice n’a aucun pouvoir pour la susprendre, même si les injonctions aux fins de poursuites émanent de lui. Et, les acteurs de la Justice sont, d’une manière générale, hostiles à tout ce qui pourrait être assimilé à une atteinte à l’indépendance de la Justice. Même s’il peut y avoir des acteurs de la Justice qui ont peur d’affirmer leur indépendance ; on pourrait même dire qu’ils ont peur d’être indépendants.

Mais les récriminations du Premier ministre ne sont pas dénuées de sens.

En effet, il fait était notamment de ce que :

1- C’est à travers les médias qu’il a appris les injonctions faites aux procureurs d’engager des poursuites sur la gestion de tous les Chefs de Division des Affaires Financières (DAF) de l’Administration Centrale et les Directeurs Généraux des EPA ainsi que sur la gestion financière des Autorités des Collectivités Décentralisées dont principalement les Maires.

Le Premier ministre avait-il le droit d’être informé a priori ou a posteriori de cet ordre ? La réponse est affirmative.

En effet, le ministre de la Justice, en dépit du lien entre lui et les membres du ministère public (le parquet), n’est pas lui-même membre du ministère public encore moins un juge. Il appartient à un gouvernement dont le chef est le Premier ministre dont il relève sur le plan hiérarchique. Autant les parquets ne relèvent pas directement du Premier ministre, autant lui, ministre de la Justice, relève directement du Premier ministre. Si la justice est indépendante vis-à-vis de l’Exécutif, en particulier, du Premier ministre, le Garde des Sceaux relève quant à lui du Premier ministre, Chef du Gouvernement, dont il fait partie. La fonction de ministre de la Justice ne lui confère pas un statut autre que celui de membre du Gouvernement.

2- Les Chefs des Divisions des Affaires Financières (DAF) agissent sur ordre des ordonnateurs des budgets que sont les ministres.
Le Premier ministre cite également les DG des EPA qui sont cosignataires avec les SAF.

Il conclut en disant que toute procédure contre les DAF de ces entités doit s’étendre aux ordonnateurs c’est-à-dire les ministres notamment.

Sur le fondement de ces considérations très importantes, le Premier ministre n’a pas tort de dire que la procédure engagée est incomplète. Et d’ailleurs, des observateurs avisés avaient émis la même réserve bien avant le Premier ministre.

3- De nombreuses injonctions aux fins de poursuites ont été lancées depuis un certain nombre de mois. Mais comme, il l’a relevé, on attend toujours la suite des procédures qui ont été engagées.

Même si le Premier ministre a commis la maladresse de demander dans son courrier, la suspension des procédures engagées dans cette affaire, il serait injuste de lui attribuer une volonté de garantir l’impunité à ceux qui se rendent coupables d’infractions économiques et financières. Il est important que chacun se conforme à la loi, à commencer par ceux qui sont prompts à invoquer la loi.

Personne ne peut contester au ministre de la Justice les prérogatives qui lui sont reconnues par la loi (article 37 du Code de procédure pénale. D’une part, c’est lui qui conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement; d’autre part, il peut dénoncer au procureur général les infractions dont il a connaissance et lui enjoindre d’engager ou de faire engager des poursuites. Par ailleurs, on peut bien comprendre la volonté réelle ou tout simplement affirmée de s’employer à faire en sorte qu’il n’y ait pas de poursuites sélectives et que tous ceux qui ont géré ou gèrent les ressources publiques répondent de leurs actes.

Mais, encore une fois, il reste le membre d’un gouvernement dont le chef est le Premier ministre. Il a au minimum un devoir d’information vis-à-vis de ce dernier. C’est aussi l’inconvénient d’être ministre parfois.

D’ailleurs, le meilleur moyen d’éviter ce genre de malentendus est de faire en sorte que le ministre de la Justice use rarement de son pouvoir d’injonctions aux fins de poursuites en laissant aux procureurs généraux le soin de procéder conformément à l’article 42 du Code de procédure pénale. Ainsi, le ministre de la Justice serait moins exposé.

Si c’est un procureur général qui, dans cette affaire, avait enjoint à un procureur de la République d’engager des poursuites, il ne viendrait jamais à l’esprit du Premier ministre l’idée de lui adresser un tel courrier sans provoquer un tollé. Mais tout cela n’est possible que si l’on a des procureurs généraux et même des procureurs de la République qui n’attendent pas toujours des instructions ou des injonctions du ministre de la Justice pour agir.

Maître Mohamed TRAORÉ

Ancien bâtonnier et membre du CNT

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