Le 05 septembre dernier, Alpha Condé n’est plus président de la République de Guinée. Il a été renversé par le Groupement des Forces Spéciales de Guinée, à sa tête le Colonel Mamady Doumbouya. Dix jours après après la mise à l’écart du président qui avait brigué un troisième mandat par le truchement d’un changement constitutionnel contesté, Guinee114.com a donné la parole à Idriss Chérif, président du parti Union pour le Changement de Guinée (UCG) et ancien allié du RPG Arc-en-ciel. L’ancien ministre de la transition sous l’ère Dadis Camara se prononce sur le coup d’État, la situation de son alliance avec l’ancien parti au pouvoir, ses relations avec le Colonel Doumbouya et ses propositions pour une transition réussie.
Même la communauté internationale, je ne dis pas qu’elle a approuvé le coup d’État mais je pense que la fermeté des condamnations n’y était pas parce que la voie démocratique est ouverte à la Guinée et ça permettra aux Guinéens de se ressaisir. C’est aussi un enseignement pour les nouveaux dirigeants qui viendront, qui doivent savoir que s’ils pensaient qu’il faut toujours piétiner la démocratie, ça ne marchera pas.
Dans toutes les déclarations que j’ai faites, j’ai toujours demandé à l’ex président Alpha Condé d’engager le dialogue, d’appeler Cellou Dalein Diallo pour qu’ils discutent. J’ai toujours mis l’accent sur la concertation. Mais comme les gens étaient devenus des petits Dieux, il fallait les laisser dans leurs erreurs pour qu’ils puissent continuer. Si vous voyez que quelqu’un quitte son pays et fait plusieurs années sans revenir, c’est parce que le système n’est pas commode. Je dis que ce coup d’État est salutaire, moi j’adhère.
Est-ce que vous avez été surpris de ce renversement du régime Condé ?
Je n’ai jamais été surpris par ce coup d’État. Quand vous piétinez la démocratie, vous pensez que vous êtes des dieux, vous oubliez que le pouvoir est faible comme une feuille de papier. Tout le monde ne peut pas adhérer à cette position. Il y a des gens qui sont visionnaires, qui savent prendre leurs responsabilités. Je pense que le Colonel Mamady Doumbouya a pris ses responsabilités pour libérer le peuple de ce carcan. C’est une histoire purement autocratique. Quand il y a un coup d’État dans un Etat purement normal, c’est de la foutaise mais quand un régime se transforme en un régime totalitaire, s’il y a un coup d’État, c’est un coup d’État libérateur.
Il y avait un manque de démocratie, on pensait qu’il fallait acheter tout le monde alors que ce n’est pas possible. Il faut toujours tenir compte de l’avis des autres. On pouvait mettre en place un gouvernement d’union nationale après les élections d’octobre dernier un gouvernement d’ouverture pour impliquer tout le monde. C’est ce qui a manqué à ce système. C’est regrettable. Je n’ai pas été surpris de cette situation.
Vous aviez quand même soutenu la candidature de Alpha Condé pour un troisième mandat. Qu’en est-il de cette alliance ?
Nous avons voulu être candidat, nous avons fait une réunion au sein du parti UCG. Au cours des discussions, on a décidé de signer une alliance avec le RPG. Nous assumons cette responsabilité. Mais vous faites une alliance avec un parti politique, après les élections, c’est comme si vous n’avez rien fait. Les gens ne vous écoutent même plus. On ne vous reçoit pas, vous appelez on ne vous répond pas, ni rien.
Les gens ont pensé que nous étions venus pour avoir une place alors que nous n’avons rien demandé. Nous avons dit devant tout le monde que nous faisons une alliance sans conditions. Nous avons demandé juste la bonne gouvernance. Si dans cette gouvernance vous n’écoutez pas, les juges condamnent les gens, on ne peut pas les arrêter, on a vu que c’était le même système qui continuait carrément avec le
« gouverner autrement », c’est pourquoi nous nous sommes retirés tranquillement. Le président Alpha Condé ne m’a jamais reçu, on ne m’a jamais vu devant un bureau à Kaloum, je n’ai jamais mis les pieds devant le palais présidentiel. Mais quand même il faut reconnaître que j’avais un ami au sein du gouvernement qui est Kassory Fofana, qui est un homme très ouvert.
Êtes-vous en contact avec les nouvelles autorités de Conakry ?
Dès le premier jour de la prise du pouvoir, j’ai eu le Colonel Doumbouya au téléphone et je lui ai demandé de rester serein et imperturbable et d’assumer ses responsabilités. Le contact direct est maintenu entre nous, je fais ce que je peux. Il faut éviter de répéter les erreurs de 2010. Il sait écouter et il connaît bien la Guinée et les guinéens.
Quels conseils donneriez-vous à la junte pour une transition réussie ?
Je les encourage à poursuivre les consultations déjà engagées, de se mettre au-dessus de la mêlée et poursuivre leurs objectifs. Qu’ils traitent les anciens dignitaires avec dignité et considération et que la rigueur doit être de mise, que les gens ne confondent pas la rigueur à la dictature. Il faut qu’il y ait des lignes de conduite que chacun doit respecter. Il faut respecter la vie humaine, que les gens ne meurent plus pour rien. Et je demanderais aussi au peuple de faciliter la transition aux militaires et que chacun accepte ce qui s’est passé et que les anciens dignitaires eux-mêmes comprennent le sens de ce qui a été fait.
Que le président de la transition écoute tout le monde, de tout bord confondu parce que certains Guinéens sont habitués à faire la délation, l’hypocrisie, à mentir pour vivre. Il faut que tout le monde se mette en tète que qu’il faut travailler pour gagner.
Est-ce qu’il faut s’attendre à votre nomination dans le prochain gouvernement de transition comme ce fut le cas lors de la transition de 2009 ?
C’est vrai que j’ai été membre du gouvernement du CNDD. J’ai remplacé Tibou Kamara à son poste après les événements du 28 septembre. Mais je pense que ma vision n’est pas d’être ministre de la transition. Ce n’est pas ce que je veux, mais je veux une très belle transition avec des hommes nouveaux. On peut aider son pays même en étant à l’étranger. Je travaille pour aider les nouvelles autorités de mon pays. Il faut amener la communauté internationale à comprendre les raisons de ce coup d’État. C’est aux autorités de décider ce que nous pouvons apporter.
Selon vous, il faut combien de temps à la junte pour réussir la transition en Guinée ?
J’ai dis au colonel Doumbouya d’ouvrir les yeux, de prendre son temps pour doter le pays de tous les instruments légaux permettant d’avoir une bonne élection qui sera acceptée par tous les acteurs. Il faut faire la justice. Il faut essayer de régler tous ces problèmes de justice. Que les gens ne viennent plus politiser la justice. Vous avez vu que pendant plus de dix ans, le Pr. Alpha Condé n’a pas pu organiser le procès des événements du 28 septembre 2009. Si le président du CNRD arrive à le faire, c’est une bonne chose. Si on fait rentrer le président Dadis Camara, le général Sekouba Konaté et beaucoup d’autres Guinéens qui sont hors du pays. Il faut qu’il y ait la sécurité. Il faut reconcilier les Guinéens. Il faut régler tous les maux qui nous gênent. Et ensuite organiser des élections. Il faut que les Guinéens eux-mêmes, déterminent la durée de la transition ensemble. Il y a certains qui sont pressés parce qu’ils sont rattrapés par l’âge et ils pensent qu’ils peuvent être présidents.
Il faut trouver des hommes nouveaux, avec de nouvelles idées pour que chacun se sente Guinéen et que cette guéguerre s’arrête maintenant. La prison c’est pour les bandits, les criminels. On ne doit plus mettre quelqu’un en prison à cause de ses opinions. On a même peur de parler sur les réseaux sociaux et les médias parce que dès que vous le faites, on vous fou en prison. Tout ceci doit s’arrêter.
Votre dernier message ?
La gestion de la Guinée doit être une affaire générationnelle. Ces personnes qui sont toujours là depuis le temps du Général Lansana Conté jusqu’aujourd’hui, certains ont même fait le temps de Sékou Touré. À ce jour il y a beaucoup de personnes intelligentes qui sont nées. Au temps de l’indépendance, dans les années 60, les chefs d’État étaient des jeunes présidents. Il faut que les gens qui sont là depuis toujours laissent la place à la nouvelle génération. Des gens de près de 70 ans doivent aller à la retraite. Il faut que la nouvelle génération se réveille et prenne les choses en main. Il faut qu’on arrête de faire la promotion des gens qui sont dépassés.
Entretien réalisé par Diop Ramatoulaye
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