Comme plusieurs milliers de jeunes guinéens, Amadou Diouldé Diallo, diplômé sans emploi, a tenté la migration irrégulière. Il y a quelques années, le jeune homme a quitté la Guinée dans le but d’aller en Europe à la recherche d’une vie meilleure. Mais son voyage s’est arrêté en Algérie, où il passé quatre années avant de rentrer en Guinée. Dans un entretien qu’il a accordé à Guinee114, ce migrant retourné a raconté sa mésaventure.
Selon Amadou Diouldé Diallo, c’est en 2017 qu’il a quitté Conakry, avec l’objectif d’aller par la voie terrestre jusqu’au Maroc et traverser la méditerranée pour rejoindre l’Europe. Il dit avoir été encouragé par des amis, qui avaient déjà fait ce voyage périlleux.
« Fin 2016, j’ai eu des amis qui se sont lancés dans l’aventure. J’ai eu à parler avec certains d’entre eux qui m’ont dit si ça ne va pas en Guinée de quitter. A ce moment-là, j’hésitais. Mais au mois d’avril 2017, j’ai finalement décidé de me lancer parce que les activités que je faisais ici (Conakry) n’allaient bien. J’ai expliqué à mes frères ce projet de voyage, quelques-uns ont accepté. Mais j’avais pris la décision, parce que je n’avais pas besoin de l’accord de tous les membres de la famille pour aller. C’est moi-même qui ai collecté l’argent. Le 22 avril 2017, je suis parti à Madina, à la gare routière, pour acheter le ticket (Guinée-Mali).
Quand le chauffeur a su que je partais pour l’Algérie, il m’a fait savoir qu’il a un correspondant au Mali. Il m’a dit que si je veux, il peut m’emmener jusqu’à chez lui après et que ce dernier pourra m’aider à rallier Alger sans problème. J’ai accepté. Arrivé au Mali, je suis entré en contact avec son correspondant, il m’a même dit de payer l’argent sur place. J’ai eu un mauvais pressentiment, mais j’ai eu aussi à parler sur Facebook avec des amis qui étaient à Alger, et qui m’ont dit de ne pas avoir peur. Alors, tout a commencé là-bas », a-t-il expliqué.
Si le voyage Conakry-Bamako s’est passé sans problème, notre interlocuteur dit avoir vécu tout le contraire entre la capitale malienne et celle algérienne. Entre des passeurs sans cœur et des groupes armés qui dictent la loi dans le Nord du Mali, le mieux qu’un migrant peut avoir, c’est de rester en vie. Amadou Diouldé dit avoir eu des doutes lorsque les passeurs lui ont demandé de payer 90 000 FCFA comme frais de transport entre Bamako et Alger. Mais ce qu’il craignait, il n’a pas pu l’éviter.
« J’ai eu des doutes. Je me suis dit de ne pas payer les 90 000 vu que celui qui m’a envoyé, j’ai essayé de le rappeler, il n’a pas décroché. Un ami que j’ai rencontré là-bas m’a conseillé de payer par tronçon, donc j’ai payé 20 000 fcfa pour Gao. Moi, je ne savais pas que c’est à partir du Mali qu’on commence à vous vendre comme des animaux, parce que c’est un réseau bien organisé. À Gao, on a trouvé des gens qui étaient à la gare routière. Dès que vous arrivez, ils vont dire ceux qui détiennent les tickets de telle personne, il faut venir par là. Ça trouvera qu’on vous a déjà vendus. Tu montres ton ticket et on te dit de suivre quelqu’un. Maintenant, on vous envoie dans une cour fermée. Ils vous disent d’attendre qu’il y ait un nombre important pour vous embarquer, mais c’était une magouille totale.
Nous, on est restés là-bas pendant cinq jours. Finalement, on nous a embarqués comme des marchandises dans un camion. Un monsieur nous a dit de lui remettre l’argent qu’on a pour le donner au chauffeur. Selon lui, c’est pour éviter les terroristes. Mais tout ce que tu donnes à ce monsieur-là, quand il descend, tu ne vas plus le revoir. En montant, ils vont vous donner chacun deux bidons de 20 litres. Lorsqu’on a quitté Gao pour Alger, à chaque barrage, ils nous font descendre et nous dépouillent de tout ce qu’on a. On a traversé à peu près cinq barrages. On a fait quatre jours dans le désert, avant d’arriver à Talanta (à la frontière entre le Mali et l’Algérie) », a-t-il fait savoir.
Ils ne sont plus dans le désert, mais les migrants n’en ont pas encore pas fini avec les problèmes. En Algérie, ils sont retenus dans des camps, obligés de payer de l’argent pour en sortir.
« Lorsqu’on est arrivés à Timyawi, un petit village d’Algérie, on nous a fait rentrer dans des foyers (des cours fermées) où se trouvent beaucoup d’autres migrants, c’est comme la prison. On nous donnait à manger mais ce n’était pas gratuit, c’était à crédit. Un beau matin, on nous demande d’appeler nos parents en Guinée pour les informer qu’on nous retient et que pour s’en sortir, il faudra payer deux millions ou deux millions cinq cent mille francs chacun. Dans ces deux millions cinq cent mille, ils vont te remettre deux mille dinars pour que tu gardes ça avec toi. Ils vont prendre un million cinq cent et les cinq cent mille restants, ils vont utiliser ça pour payer d’autres personnes qui vont nous envoyer dans d’autres villages. On a passé une semaine là-bas, avant d’appeler en Guinée pour qu’on nous envoie de l’argent.
Personnellement, j’avais payé trois millions de francs guinéens et on m’a rendu sept mille dinars, ce qui équivaut à un million de franc guinéen. On nous a embarqués dans un pick-up pour Tamanrasset. Là-bas aussi, on nous a fait rentrer dans une autre cour, nous demandant de payer deux millions francs guinéens pour qu’on puisse sortir. Ils ont pris tout l’argent que j’avais sur moi. Ils nous ont menacés, en disant que si on ne paye pas, ils vont nous vendre à d’autres personnes. Et ils ont dit que s’ils vendent quelqu’un à trois mille dinars, l’intéressé devra payer six mille dinars pour se libérer après. Un matin, un arabe est venu dans sa camionnette, il a menacé de nous livrer à des personnes qui vont nous frapper pour qu’on paie l’argent. C’est en cours de route qu’on a pu s’échapper. Lorsqu’on courait, moi, je me suis blessé gravement, mais j’ai pu m’en sortir ».
Arrivé à Alger sans aucun sou en poche, Amadou Diouldé Diallo ne pouvait pas poursuivre son voyage. C’est ainsi qu’il décide de travailler non seulement pour vivre mais aussi avoir de l’argent pour faire le reste du chemin. Il apprend le métier de peintre et passe quatre ans dans la capitale algérienne, avant de décider finalement de rentrer en Guinée, suite à la pression de ses parents et de son épouse. « Quand je suis arrivé à Alger, je voulais continuer pour l’Europe, mais vu que je n’avais plus de l’argent disponible et je n’avais pas de soutien, j’ai renoncé. C’est à cause de ça, sinon, quand vous arrivez là-bas, vous avez envie de continuer ».
Grâce à son expérience, Amadou Diouldé donne quelques conseils à ceux qui veulent emprunter ce chemin pour aller en Europe. « D’abord, si tu as ça en tête, il faut avoir un métier. Parce que, même si tu as de l’argent disponible ici, quand tu arrives au Mali, c’est là-bas qu’ils vont bouffer tout. On dit que les Algériens sont méchants, c’est vrai, mais les passeurs qui sont au Mali sont plus méchants que les Algériens. Le meilleur conseil que je leur donne, c’est de ne pas tenter (la migration irrégulière). Parce que c’est comme si on dit sur cent personnes, c’est seulement quatre qui vont réussir à traverser. Ce que vous allez rencontrer en route, vous n’allez pas l’aimer », a-t-il prévenu.
Mamadou Macka Diallo
666 660 366