Conakry, le 15 février 2024 – En Guinée, les libertés publiques d’associations et de réunion ont connu de graves entorses ces dernières années. Alors que la loi L/2013/05/AN qui fixe le régime des associations, impose aux organisations d’obtenir un agrément délivré par le Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation ou par délégation de pouvoir, et que le code civil révisé en 2019 préconise « une déclaration préalable et l’enregistrement de cette déclaration », les associations et organisations non gouvernementales (ONG) évoluant dans le pays ont connu des difficultés majeures pour obtenir leurs agréments ou les renouveler, pour mener à bien leurs activités.
C’est le constat que dresse l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) dans un rapport qu’elle consacre à la délivrance des agréments aux associations guinéennes. L’étude menée dans le cadre du projet NFOULEN révèle que 39 des 123 organisations ayant été interrogées n’ont jamais pu obtenir leur agrément malgré les démarches menées auprès des autorités guinéennes. Parmi elles, 20% ne disposent pas d’un document de reconnaissance officielle valide même si elles ont mené les démarches nécessaires auprès des autorités compétentes.
Comment expliquer ces difficultés pour obtenir ou renouveler l’agrément de ces organisations ?
Interrogé sur le sujet, le président de l’ABLOGUI a estimé que ces difficultés s’expliquent par deux raisons. « La première raison est l’inefficacité des services administratifs chargés des associations à cause du manque de moyens pour encadrer l’exercice de la liberté d’association. La deuxième est que cela découle d’une volonté des autorités de contrôler la société civile. Donc, les agréments sont un moyen de contrôle, de pression exercée sur les organisations de la société civile », explique Mamadou Alpha Diallo.
Cette étude, découlant de nombreux constats, vise à mieux comprendre la situation de délivrance des agréments, avec des chiffres pour en saisir l’ampleur. Elle vise également à proposer des solutions à cette situation qui fragilise les organisations et empêche leur plein développement. « Le premier constat qui fait suite à cette étude concerne le cadre législatif. Il y a la loi L013 qui encadre la liberté d’association en Guinée, mais elle commence à être caduque. Car elle impose aux organisations de disposer d’un agrément avant de jouir de certains droits et de commencer à fonctionner. Et depuis 2019, le code civil révisé n’exige de l’organisation que de faire une déclaration préalable et d’enregistrer cette déclaration. Et cette disposition du code civil révisé est beaucoup plus en conformité avec les lignes directrices de l’Union africaine sur la liberté d’association et de réunion. Donc on se rend compte qu’au niveau juridique, nous avons des textes qui ne sont pas identiques. L’autre constat est au niveau de la pratique où on se rend compte que c’est différent de ce qu’il y a dans la réalité. L’un des éléments dans la pratique, c’est qu’il n’y a aucune procédure claire.
Toutes les procédures, les démarches pour obtenir les agréments sont floues, prennent beaucoup de temps et d’argent. Ainsi, il y a beaucoup de corruption parce qu’il n’y a aucune démarche préalablement établie, qui est donc transparente et qui puisse permettre aux organisations d’avoir accès aux services qu’ils demandent. En matière d’organisation, on s’est aussi rendu compte qu’une proportion de 32%, soit près d’une organisation sur 3 n’a jamais réussi à obtenir un agrément. Donc il n’y a que 68% qui ont réussi à obtenir une fois un agrément. Nous pensons que c’est trop, surtout que les 32% d’organisations qui n’ont jamais eu d’agréments ont mené des démarches. Et l’écrasante majorité d’entre elles ont payé, mais n’ont jamais pu avoir d’agrément et cela est un handicap pour leurs activités », a détaillé le leader de l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI).
L’avènement du CNRD n’a rien changé
Le coup d’État mené par l’ancien chef du Groupement des forces spéciales, Mamadi Doumbouya, le 05 septembre 2021, et la nomination de Mory Condé, un acteur de la société civile, au ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD), n’ont pas permis d’éradiquer ces difficultés. De nombreuses ONG et associations ayant participé à cette étude voient leurs activités sérieusement menacées. Elles dénoncent non seulement la corruption quasi-généralisée mais aussi le deux poids deux mesures.
D’ailleurs, elles dénoncent clairement cette situation. « Tout est lié aux relations. Plus vous avez des relations, plus les choses deviennent très faciles pour vous (…) Quand vous vous rendez au MATD pour une demande d’agrément, si vous rencontrez 10 personnes, vous obtiendrez 10 informations différentes. On dirait que ces personnes ne travaillent pas au même endroit ou dans le même service. Et tout le monde vous demandera de l’argent. Il n’y aucune procédure claire (…) Autant il est difficile pour les organisations indépendantes d’obtenir ou de renouveler leurs agréments, autant cela a toujours été facile pour les organisations proches de ceux qui dirigent », peut-on lire dans ce rapport de 33 pages. Pour exercer, ces ONG et associations sont obligées de faire recours à plusieurs stratégies qui ne leur bénéficient pas souvent sur le long terme. D’autres font carrément face à la difficulté d’obtenir des financements pour mettre en œuvre leurs activités.
Si l’ABLOGUI, dans ce rapport, dénonce ce mauvais service, elle souligne tout de même le manque de moyens techniques et matériels du Service national de promotion et de réglementation des organisations non gouvernementales et des mouvements associatifs (SERPROMA), qui n’a toutefois pas accepté de répondre aux demandes d’entretiens dans le cadre de cette étude.
Les recommandations de l’ABLOGUI…
Pour une liberté d’association totale et un épanouissement des organisations de la société civile guinéenne dans un espace civique libre et ouvert, les auteurs du rapport espèrent que les recommandations formulées aux différentes entités concernées seront prises en compte. « Au Gouvernement, nous avons recommandé de doter les services chargés de l’enregistrement des organisations de moyens techniques, mais aussi de respecter les délais légaux dans les réponses aux agréments, de mettre en place des procédures uniformes de paiements. Au niveau des organisations de la société civile, on recommande le respect des lois régissant la création et le fonctionnement des associations, notamment la transmission régulière des rapports, mais aussi de refuser et de dénoncer toute tentative d’extorsion lors des demandes d’agréments. Nous avons aussi demandé aux partenaires techniques et financiers d’appuyer matériellement et techniquement le service en charge de la réglementation des associations en Guinée et aussi de prendre en compte les difficultés d’obtention des agréments dans leur collaboration avec les ONG et associations guinéennes », a confié le président de l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI).
Obtenez l’intégralité du rapport de l’Étude sur la délivrance des agréments aux associations guinéennes ici.