En 2011, l’Etat guinéen a signé un contrat avec l’entreprise MGG pour la confection des actes de naissance numérisés. Une décision salutaire à tout point de vue.
Cependant, dans l’exécution de ce contrat, les citoyens guinéens sont confrontés à des difficultés inimaginables dans un pays indépendant depuis 1958. Le prix officiel de l’extrait de naissance est fixé à soixante mille (60 000) francs guinéens et le paiement se fait exclusivement à la banque, la FBNBank. Toute chose qui devrait permettre de sécuriser le paiement mais aussi de faciliter la tâche aux usagers.
Malheureusement, l’effet contraire se produit. Puisque l’obtention de ce précieux sésame est devenue un véritable calvaire pour les citoyens. D’abord, une seule banque est retenue pour le paiement. Alors qu’elle n’est pas représentée dans la plupart des localités du pays en dehors de Conakry. Pourquoi ce monopole ? Ne faut-il pas impliquer quatre (4) ou cinq (5) institutions bancaires ou même Orange Money ? Ce débat mérite bien d’être posé.
Magouille et corruption à ciel ouvert
Tenez-vous bien, en lieu et place des soixante mille (60 000) francs guinéens pour l’extrait de naissance, certains citoyens payent jusqu’à deux cents mille (200 000) francs guinéens de plus. Oui, cet argent va certainement dans les poches des gens. Un tour à la banque. C’est monnaie courante que des citoyens versent les soixante mille (60 000) à la banque moyennant le reçu et que l’on dise : « Votre reçu n’est pas activé« . Conséquence : la quasi-totalité des cas, les concernés perdent les 60 000 et se voient obligés de faire un nouveau versement. Finalement l’extrait de naissance leur coûte 120 000 GNF au lieu des 60 000 GNF, le prix officiel.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, ils sont nombreux les citoyens qui en sont victimes depuis le début de la délivrance de ce document. Trois citoyens, victimes, racontent leur mésaventure sous l’anonymat.
B.A.S : « Je suis venu très tôt à 6 heures du matin à OrabankKaloum le 9 mai 2023 pour faire le versement pour mon jeune frère, fonctionnaire en service à Dalaba. Je paie les 160 000 GNF et on me donne deux reçus. Le premier de 60 000 GNF et le deuxième de 100 000. J’ai envoyé ces deux reçus à mon frère à Dalaba. Il se présente à la mairie pour l’enrôlement avec le reçu de 60 000, on lui dit que le reçu n’est pas activé. Quand il m’a informé je n’en revenais pas. Finalement, je lui ai dit de m’envoyer les deux reçus pour que je puisse vérifier à la banque où se trouve le problème.
Je me suis présenté à OrabankKaloum, là on me dit malheureusement celle-ci ne fait plus le versement. L’agent en question m’indique l’entreprise MGG pour se plaindre.
Arrivée à l’immeuble CIMAF au 5ème étage où se trouve MGG, l’agent vérifie mes reçus à travers son ordinateur et il me dit : « le reçu de 100 000 est actif. Par contre, le reçu de 60 000 GNF avec le numéro 362 848 en date du 09 mai 2023 à 9 heures 36 minutes a été utilisé en faveur d’un certain N’Famara à Kaloum et que l’agent de l’état civil est Monsieur S K « .
Ce monsieur de MGG me dit que tous les problèmes se trouvent au niveau des mairies. Et mieux, il me donne son numéro et me demande d’aller à la mairie de Kaloum et rencontre ce Monsieur S K lui dire de me rembourser s’il refuse de l’appeler.
Arrivé à la mairie de Kaloum, ce Monsieur S K m’a rétorqué gentiment : « Mon frère, moi, je suis à la mairie de Kaloum. Tu es allé faire le versement à la banque et tu as envoyé le reçu à Dalaba. Comment moi je peux l’utiliser ? Pose-toi la question. Surtout que ce reçu n’a jamais transité par mon service. Il m’est arrivé plusieurs fois de rembourser des reçus à des citoyens. Je pense que le problème là, c’est au niveau de la banque. Est-ce que la banque ne donne pas le même reçu à deux personnes ?
A défaut, s’il y a des erreurs de ce genre chez nous on se sacrifie et on rembourse le citoyen ses 60 000 puisque la faute ne vient pas de lui, mais à condition que les erreurs soient commises par mes agents …«
M.S est fonctionnaire en service à Kaloum : « Il y a quelque mois, je suis allé à Orabank et j’ai fait le versement de 160 000 (pour deux reçus) sans difficulté même s’il y avait une forte affluence. Le lendemain, je suis allé à la mairie pour l’extrait. Là, j’ai payé 50 000 GNF de plus hormis les 160 000 à la banque. Quatre jours plus tard, j’ai obtenu mon extrait de naissance biométrique. Malheureusement pour moi, plus de quatre mois après avoir fait l’enrôlement au commissariat central de Kaloum, je n’ai pas encore ma carte.
Parfois, on dit qu’il n’y a pas de courant depuis trois jours…alors que l’affluence est énorme. A 6 heures du matin, je me suis inscrit sur une liste alors qu’il y avait déjà 30 personnes devant moi. Donc, pour s’enrôler, il faut pratiquement une journée ou la moitié d’une journée ».
O.D est un cadre de l’administration. La quarantaine révolue exerce dans une des communes de Conakry : « Des reçus non actifs, on en a vu plusieurs fois ici. Et les citoyens sont obligés de payer le double, c’est à dire 120 000 pour l’extrait au lieu de 60 000. A quel niveau se trouve le problème ? Je ne sais pas mais le problème est récurrent et les citoyens en souffrent énormément.
A cela s’ajoute l’insuffisance notoire du personnel en charge de la biométrie. La quasi-totalité des agents sont soit des bénévoles, soit des stagiaires qui en réalité n’ont aucune rémunération à la fin du mois. Malheureusement, certains d’entre eux dépassent les limites imaginables en exigeant à des citoyens des sommes allant de 50 000 à 200 000 GNF juste pour remplir la fiche d’enrôlement.
D’autres réclament de l’argent à des citoyens souvent pressés sous prétexte qu’ils vont agir pour écourter les délais requis pour l’obtention de ce précieux document. Une fois cela a failli coûter cher à un stagiaire. Celui-ci a rempli la fiche d’un vieux accompagné d’un jeune d’une trentaine d’années. A la fin, l’agent de l’état civil encore stagiaire exige une somme de 200 000 GNF simplement parce que c’est lui qui a rempli la fiche d’enrôlement. Une dispute s’engage entre les deux parties.
Malheureusement pour l’agent stagiaire le jeune accompagnateur a des entrées à l’Agence Nationale de Lutte Contre La Corruption (ANLC). Il n’a pas hésité de prendre contact avec ses relations au sein de l’ANLC. L’affaire a failli être judiciarisée n’eut été l’implication de certaines personnes influentes au sein des familles. Pour moi, il est nécessaire de recruter suivant les règles de l’art, tous ceux qui sont impliqués dans la biométrie et prévoir des sanctions positives et négatives dans le contrat de travail qui sera signé à cet effet« .
Et pour ne rien arranger, un cadre de l’état civil dans la commune de Dixinn témoigne dans la douleur « Même la semaine dernière j’étais obligé de rembourser 6 reçus à des citoyens innocents qui ont banalement perdu leurs premiers versement par la faute de certains de mes agents malhonnêtes. Un jour ou l’autre ceux-là paieront de leur forfaiture. C’est vrai, ils ne sont pas embauchés avec un contrat dûment signé mais ce n’est pas une raison d’organiser cette magouille. Je reconnais quand même qu’il y a certains d’entre eux qui sont dévoués et très sérieux dans le travail… »
Un agent de la banque nous a confié une fois que les autres banques ne sont pas enthousiastes pour cette question de l’état civil par ce qu’il y a trop de problèmes dans çà et les intérêts ne sont pas consistants
Nous avons tenté en vain d’avoir la version du ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation.
En attendant, cette souffrance des citoyens est inexplicable et des mesures fortes doivent être prises par les autorités pour limiter les dégâts.
Nous y reviendrons
Alhassane Barry