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Guinée : du dynamisme à l’indolence, la téléphonie mobile réussira-t-elle à redevenir compétitive ?

De son passage du monopole public à la concurrence en 2006, le marché guinéen de la téléphonie a connu ses heures de gloire et de prospérité partagée. Malheureusement, l’incohérence entre l’action publique axée sur la surimposition fiscale et la législation qui prône l’ouverture et la libéralisation, a eu un effet boomerang dont les conséquences furent entre autres : la perte de l’élan concurrentiel du marché d’en temps et la baisse drastique des recettes de nos jours. Comparant l’an 2020 à l’an 2024, une décroissance de près de 50% des recettes de l’Etat a été constatée (une autre problématique à part entière).

La téléphonie, à l’image de ses compères du domaine des services, a besoin d’une politique attractive pour à la fois attirer les investisseurs et maintenir ceux existants sur son marché. Cette politique va des exonérations fiscales à l’installation, à la création d’un environnement stable, sécurisé et propice aux investissements, tout en passant par la création de balances symétriques d’investissement afin de maintenir l’équilibre et la pertinence du marché.

Avec une prévision de plus de 90% de parts de marché tenues par un opérateur privé d’ici à la fin du dernier trimestre de l’année en cours, pourquoi les mesures peinent-elles à être prises par les pouvoirs publics actuels ? Sont-ils conscients des conséquences multiples si le monopole pur était effectif ? Légitimes interrogations de l’observateur que je suis !

Dans l’optique de comprendre les effets inducteurs du monopole susmentionné et quasiment effectif et d’analyser ses conséquences futures sur le marché, et ses éléments constituants, ainsi que leurs impacts socio-économiques sur le pays, il m’a semblé important de faire le diagnostic de l’évolution de quelques opérateurs de téléphonie, de quelques décisions politiques et de l’état actuel du marché.

Opérateurs de téléphonie :

Après la fermeture des sociétés Sotelgui et Intercel qui ont été victimes de leur propre gouvernance et du poids de la rude concurrence induite par l’entrée sur le marché des sociétés Areeba actuelle MTN et Orange Guinée.SA, la téléphonie mobile guinéenne s’est retrouvée avec trois (3) opérateurs à savoir : MTN Guinée, Orange Guinée.SA et Cellcom Guinée depuis 2012.

Cependant, il est à retenir que la société MTN Guinée qui était l’opérateur dominant entre 2006 et 2008, s’est vite retrouvée au deuxième rang du classement grâce à la politique d’investissement conséquente de son concurrent direct de l’époque ‘Orange Guinée’ et l’absence d’une politique d’investissement symétrique qui aurait dû être imposée par la régulation de l’époque. Malgré ces réalités, ledit marché est resté hautement concurrentiel jusqu’en 2015 où les sociétés MTN et Cellcom commencèrent à être dans une situation d’incapacité de paiement des redevances et taxes et cela par faute de moyens financiers conséquents. Tout au long du quinquennat suivant cette période, ces deux sociétés se sont retrouvées dans un état de surendettement vis-à-vis de l’Etat et de leurs partenaires techniques et financiers ayant ainsi pour conséquence, la demande de liquidation de Cellcom qui s’est vue racheter en catimini par un investisseur guinéen qui certes détenait la capacité financière mais manquait considérablement de la capacité technique pouvant relancer une société de téléphonie en difficulté. Une situation identique à celle de la Société MTN Guinée qui en plus s’est engagée dans l’achat d’une licence globale incluant la technologie 4G.

Avec une disproportion considérable d’investissement entre l’opérateur dominant et les deux autres opérateurs, nous nous retrouvons avec une disparité progressive de la part de marché allant de 50 % à plus de 70% en 2020 entraînant ainsi un monopole de fait.

Du quatrième trimestre de l’an 2019 où la part de marché de l’opérateur dominant s’élevait à 65,3%, au troisième trimestre de l’an 2024 où la part de marché de l’opérateur dominant a franchi la barre de 90%, contre moins 1% de celle du dernier sur le marché, il est évident que le pouvoir public a manqué de vigilances et d’actions qui auraient permis d’entretenir la concurrence en adaptant une régulation asymétrique dès l’acquisition des 60% par un opérateur.

Dans moins d’un trimestre, la société Cellcom qui est à moins de 900 millions GNF de chiffre d’affaires mensuel fermera ses portes pour faute de moyens financiers permettant la prise en charge des charges courantes et d’investissement capable de la maintenir sur le marché. Quant à la société MTN Guinée, tenir plus d’une année sur le marché serait un miracle si de nouveaux investisseurs avec de gros moyens financiers et techniques ne rentrent pas dans son capital.

Ce graphique reste la propriété intellectuelle de l’auteur

Décisions politiques ayant affectées le dynamisme du secteur :

Depuis le constat du monopole de fait, deux grandes décisions politiques et stratégiques ont à mon avis accéléré la perte de l’élan concurrentiel du marché à savoir : l’arrêt de la procédure de liquidation de la société Cellcom dont les failles ont permis un rachat en catimini sans mots du pouvoir public et l’octroi d’une licence globale avec la technologie 4G à la société MTN Guinée qui n’avait pas la capacité technique et financière de l’exploiter convenablement.

Décision d’octroi de la licence 4G à la Société MTN Guinée : en effet, l’une des conditions préalables imposées par la législation à l’entame de la concession d’une licence, est la certification de la capacité technique et financière du bénéficiaire à exploiter ladite licence et à respecter le cahier de charges y afférent. Aller à l’encontre de ce principe universel pour un soi-disant politique d’équilibre de la concurrence était une erreur de novice. Dans une situation similaire et où les difficultés financières de l’entreprise sont constatées, il est conseillé que le pouvoir public impose un redressement à la société avant toute autorisation ou concession.

Rachat de la société Cellcom en catimini : Pourquoi en plus d’avoir une dette supérieure à sa valeur vénale vis-à-vis de l’Etat, l’obligation de regard du pouvoir public quant aux procédures de liquidation d’une entreprise au sein d’un marché régulé n’ont pas empêché le rachat clandestin de cette société ? L’Etat et ses serviteurs auraient-ils des intérêts officieux dans cette transaction ?

Quelles approches pour atténuer le choc du monopole pur et relancer la téléphonie guinéenne ?

Il serait prétentieux de détenir une solution magique pour redonner le dynamisme d’en temps au marché et relancer le secteur de la téléphonie mobile à ce stade. Un benchmark porté sur des marchés similaires ou marchés ayant réussi à traiter ladite problématique est une obligation pour ensuite adopter des approches réussies ailleurs et les adapter au contexte guinéen.

Pour l’instant, tous les moyens légaux doivent être utilisés par le pouvoir public pour au minimum maintenir deux concurrents sur le marché. Le dépôt de bilan des sociétés MTN et Cellcom (2/3), compliquera la relance du secteur de la téléphonie mobile en Guinée pour la prochaine décennie. 

KABA MAMADI

Spécialiste des Télécommunications & du développement Numérique

Auteur du livre :

« Les Freins du développement Numérique en Guinée et ma Vision »

Email : kaba00900@gmail.com ; mamadi.kaba@cabinetbis.com

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