À l’occasion du nouvel an (2023), nous avons interrogé Mamadou Kaly Diallo sur la situation des droits de l’homme en Guinée durant les 12 derniers mois sous le Colonel Mamadi Doumbouya. De l’interdiction des manifestations sur les places publiques à la détention des leaders d’opinion, en passant par les morts d’hommes pendant les manifestations politiques, le défenseur des droits humains donne son point de vue. L’activiste rappelle tout de même quelques « maigres » avancées, notamment la moralisation de la vie publique, l’organisation du procès des événements du 28 septembre 2009 saluée par les acteurs socio-politiques du pays avant de parler des violations des droits de l’homme.
« Malgré quelques maigres avancées,…la situation des droits de l’homme reste toujours dégradante en République de Guinée. C’est vrai aujourd’hui, il faut saluer la volonté d’aller à la moralisation de la vie publique en Guinée. La lutte contre la corruption, même s’il faut être respectueux des règles, des formes et des principes. La mise en place de la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières), la tenue du procès des événements du 28 septembre tant réclamé, tant attendu depuis 13 ans, ça c’est des éléments qu’il faille souligner. Mais globalement, il faut le dire, la situation des droits de l’homme reste dégradante en République de Guinée.
Si vous prenez les droits civils et politiques. Aujourd’hui, la liberté de manifestation qui est le fer de lance, si vous voulez, des libertés fondamentales, elle est remise en cause. Il y a une interdiction systématique de toute manifestation en République de Guinée depuis l’avènement du CNRD malgré que la charte que le CNRD lui-même a élaboré consacre à l’article 8, la jouissance de ces libertés-là. Ensuite, il y a cette détention arbitraire qui est là. Parce qu’il faut le dire cette détention préventive qui viole le principe des citoyens à un procès juste et équitable dans un meilleur délai. Aujourd’hui c’est à se demander qu’est-ce qui retiendrait les activistes de la société civile entre autres: Foniké Mengué et Ibrahima en prison. Or, vous vous en souviendrez que le 5 septembre 2021, le CNRD par la voix de Colonel Mamadi Doumbouya lui-même avait dénoncé une forme d’instrumentalisation de la justice, avait libéré beaucoup de prisonniers d’opinion parce qu’il avait estimé qu’ils étaient détenus dans une forme d’injustice qui viole les règles et les principes qui régissent la promotion et la protection des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous avons cette même situation.
Et puis on a vu les dernières manifestations qui ont été appelées. Une des formes de manifestation aussi qui a été interdite, c’est les marches funèbres. Les nouvelles autorités ont carrément interdit toute forme de marche funèbre. Or, ça c’est des moyens d’expression, c’est des formes de lutte et non violente que à peu près toutes les icônes de la lutte non violente ont utilisé. Telles que: Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela.
Je réitère que la tenue du procès des événements du 28 septembre est à saluer et à encourager. Cependant, on avait un grand espoir quand le parquet, suite à la hausse des prix du carburant, quand il y a eu usage à balles réelles, il y a eu mort d’homme à Hamdallaye, le feu Thierno Mamoudou, on avait salué la sérénité avec laquelle le parquet, en ce moment conduit par l’actuel ministre de la justice, le garde des sceaux et des droits de l’homme, avait conduit les informations judiciaires qui avaient abouti à l’identification des présumés auteurs et même à un mandat de dépôt de l’auteur présumé qui est en prison qui attend le procès. Même s’il faut réclamer la tenue de ce procès-là. Mais on avait pensé qu’il y avait cette rupture annoncée le 5 septembre commençait par cette forme d’injustice qui était là, cette impunité qui était garantie. Surtout quand il concerne les crimes de sang, les bavures policières. Malheureusement les manifestations de juillet, vous vous en souviendrez le cas emblématique de feu Ibrahima Baldé de Wanindara par exemple et tant d’autres. Là, on a jamais suivi, on a jamais vu une communication par rapport aux résultats d’autopsie ni par rapport aux poursuites engagées par rapport aux présumés auteurs. Or, l’usage disproportionné de la force pendant une manifestation pacifique viole les principes des droits de l’homme. Ça c’est les droits civils et politiques.
Mais que dire des droits socio-économiques et culturels? Parce vous savez en Guinée, ces dernières années le combat a été tellement orienté vers la politique politicienne. (…) Il y a les droits socio-économiques et culturels, les conditions de vie décentes, ça aussi c’est du droit de l’homme; c’est les droits de la deuxième génération. Mais que dire aujourd’hui de ces pauvres femmes qui à l’intérieur du pays partent à des kilomètres jusqu’à présent pour puiser de l’eau à la rivière. Alors qu’à Conakry, aujourd’hui la gente féminine dit: écoutez, nous réclamons le quota des 30%, les postes d’éligibilité mais on oublie cet autre aspect-là.
La troisième catégorie c’est les droits collectifs dont vous parlez, le droit à l’environnement. Aujourd’hui partez dans les zones d’exploitations minières. Et je rappelle que lors de l’examen périodique universel, le dernier, l’une des recommandations qui avaient été faites à Genève c’est comment impliquer, comment faire bénéficier en un mot les communautés vivant dans les zones d’exploitations minières parce que ce sont des zones fortement affectées, fortement dégradées. Partez à Boké par exemple, aujourd’hui il y a de ces rivières qui n’existent plus. Il y a des fruits mêmes compte tenu de cette exploitation anarchique dégradante, il y a même certains arbres fruitiers qui ne donnent plus de fruits. Voyez vous ces conditions-là, on en parle peu ou alors on n’en parle même pas.
Il y a aussi le droit à la paix qui est un droit de la quatrième catégorie. Encore une fois pour dire qu’en matière des droits de l’homme, il n’y a pas des droits importants plus que les autres. Tous les droits sont d’égal importance mais on peut parler des droits plus précieux que les autres. Le droit à la paix, le droit au bonheur ce sont des droits aussi de la troisième génération. Mais quand on parle de la paix ce n’est pas le slogan dont on voit la République de Guinée. La mamaya, le plus souvent quand il y a une situation de crise, des conflits qui sont naturels, il faut le dire, les conflits sont naturels à la vie, ils sont inhérents. La paix en termes d’analyse et de compréhension de conflits ne signifie pas seulement absence de conflit, absence d’affrontement, absence de guerre non! C’est la paix intérieure. Donc, qui signifie une justice équitable, indépendante, impartiale dont les citoyens sont égaux devant la justice et que tous les citoyens bénéficient une égale protection de la justice. Encore une fois c’est tous ces aspects-là qui m’amènent à dire sans se tromper que jusqu’à présent la situation des droits de l’homme reste dégradante en République de Guinée », a largement expliqué Mamadou Kaly Diallo, activiste des droits humains.
A signaler qu’en plus de ces quelques points cités par Kaly Diallo, on trouve dans ce vaste registre, la dissolution du FNDC (Front National pour la Défense de la constitution) par le ministre de l’administration du territoire, les poursuites judiciaires « nonchalantes » engagées contre l’ancien président Alpha Condé et plusieurs anciens de ses collaborateurs pour des crimes de sang.
Décryptage Mamadou Macka Diallo
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