Coupures internet, censure sur les réseaux sociaux, signaux radio brouillés… Reporters sans frontières (RSF) dénonce une série de violations de la liberté de la presse sans précédent depuis l’arrivée de la junte au pouvoir en septembre 2021. Les autorités doivent cesser immédiatement toute entrave au travail des journalistes.
C’est une première dans l’histoire de la Guinée : les organisations de presse représentant les télévisions, les radios, les journaux et les sites d’information privés et publics se sont réunies pour observer, mardi 23 mai, une “journée sans presse”. Cette opération avait pour but de dénoncer la multiplication, depuis 10 jours, des coupures des réseaux sociaux, des restrictions de l’accès aux médias en ligne, voire des confiscations d’équipements et des intimidations de journalistes par le pouvoir en place, à un moment où le pays connaît un important mouvement de contestation politique.
De telles entraves étaient jusqu’alors inédites. Alors que la junte s’était montrée réceptive aux recommandations formulées par RSF en octobre 2021, la situation, près de deux ans après son arrivée au pouvoir, est en train de considérablement se dégrader. Le nombre de violations contre les journalistes et les médias se multiplient de façon inquiétante. Il est urgent que les autorités guinéennes cessent leur fuite vers un avant autoritariste et se mobilisent pour garantir la liberté de la presse au lieu de la restreindre.
Ces perturbations adviennent dans un contexte de protestations et d’appels à manifester lancés par l’opposition contre la junte. Depuis environ une semaine, les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, Whatsapp ou Tiktok sont coupés, et l’accès à internet restreint. Les ondes de certaines radios, comme les stations privées Fim FM et Djoma FM, ont été brouillées et les sites d’information, comme Africa Guinée ou Guinée Matin sont inaccessibles. Contacté par RSF, le fondateur de Guinée Matin, Nouhou Baldé, témoigne : “Nous avons été obligés d’acheter et d’installer des VPN pour pouvoir continuer à publier”. Si les médias parviennent à s’équiper, ce n’est pas forcément le cas de leurs lecteurs. “Malheureusement, les Guinéens ne peuvent pas tous se permettre d’acheter ces dispositifs. Nos chiffres en matière de lectorat sont en chute libre. Nous sommes démoralisés”.
Des restrictions d’exercice imposées par la junte
Le président de l’Association guinéenne de la presse en ligne (Aguipel), Amadou Tham Camara attribue ces coupures et le brouillage des ondes aux autorités : “Si c’était simplement une panne, nous ne pourrions pas accéder non plus aux sites étrangers. Or, seuls les sites guinéens et les médias sociaux les plus populaires du pays sont inaccessibles.”
Ces coupures succèdent à d’autres restrictions. Le 17 mai dernier, une équipe de gendarmes se réclamant de l’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications (ARPT), l’organe de régulation des télécommunications, a démonté les émetteurs et confisqué les équipements du groupe de média indépendant Afric Vision, qui comporte les radios Sabari FM et Love FM. Le groupe n’a, à ce jour, reçu aucune explication malgré ses tentatives d’entrer en contact avec la direction générale de l’ARPT.
Le lendemain de la saisie des émetteurs des deux radios, le porte-parole du gouvernement et ministre des Télécommunications, Ousmane Gaoual Diallo, a nié toute implication du pouvoir dans les perturbations d’internet et l’opération qui a visé Afric Vision, avant de menacer de fermeture tous les médias tenant “des propos de nature à saper l’unité nationale”. “Si un média enfreint les dispositions, c’est en plein jour qu’on procédera à sa fermeture”.
Lors de cette même déclaration, le représentant de la junte a aussi indiqué que “moins de 2% des médias” étaient à jour de leurs redevances publiques. “C’est une manière de dire aux patrons des médias qu’on pourrait s’en prendre à eux par ce biais”, estime un directeur d’un média privé du pays souhaitant conserver l’anonymat.
Des violences qui s’intensifient contre les journalistes
Aux attaques à l’égard de la presse en ligne et des réseaux sociaux s’ajoutent les violences directes à l’encontre des journalistes. Le 17 mai, alors qu’ils étaient en reportage à Bambéto, un quartier en banlieue de Conakry, les journalistes Aliou Maci Diallo, reporter pour le site d’information La Guinée Info et son collègue Mamadou Macka Diallo, de Guinée 114, ont été agressés par des militaires. Après les avoir interrogés sur leur présence et leur avoir signifié qu’il n’y “avait pas de manifestation” ce jour-là, un agent les a insultés, menacés de percer le pneu arrière de leur moto, et a administré de violents coups à la tête à Aliou Maci Diallo.
Ces agressions ne sont pas des cas isolés. Le 9 mai dernier, Ibrahima Foulamory Bah, du journal en ligne indépendant le Courrier de Conakry, a été brutalement interpellé et séquestré durant une heure par des agents de la garde présidentielle postés à l’entrée de la primature, sans motif, alors qu’il couvrait une manifestation. Après l’avoir photographié et fouillé son téléphone, les agents l’ont libéré.
Quant aux équipes des émissions « Mirador » de Fim FM et “On refait le monde » de Djoma FM, elles ont été convoquées par la Haute autorité de la communication (HAC), l’organe de régulation des médias les 17 et 18 mai, en raison du “ton employé dans leurs émissions”. Ces dernières commentent particulièrement les manifestations organisées par l’opposition.
Les médias répliquent aux attaques
La journée sans presse n’est qu’une illustration de la mobilisation des médias pour contrer les entraves de la junte. Les associations de presse guinéennes accusent publiquement les pouvoirs de “censure” tandis que les organisations représentant les télévisions, les radios, journaux et sites d’information privés du pays ont catalogué le porte-parole du gouvernement Ousmane Gaoual Diallo d’ »ennemi de la presse guinéenne ». Elles ont annoncé, entre autres, le “boycott de toutes les activités du gouvernement jusqu’à la levée de toutes les restrictions” et une marche de protestation le 1er juin 2023 sur tout le territoire.
La Guinée occupe le 85e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023