Ancien conseiller spécial du président Moussa Dadis Camara et ministre de la transition du CNDD, c’est dans la commune de Cocody (Côte d’ivoire) qu’Idriss Chérif nous reçoit en ce mois d’octobre 2024. Scrutant l’actualité de la Guinée où il a son parti présent dans le landernau politique, le président de l’UCG (Union pour le Changement de la Guinée) évoque avec nous des sujets brûlants de l’actualité guinéenne. Du projet simandou au cas de ce qu’il préfère appeler «les hommes politiques en prison» sans oublier ceux en exil à savoir Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, il nous dit tout. Lui qui, contrairement à d’autres, ne serait pas opposé à un glissement du calendrier de la transition, pourvu qu’il y ait une nouvelle dynamique de dialogue et d’assurance. Lisez !
Guinee114.Com : Pour commencer, quels sentiments avez-vous ressentis en apprenant les décisions du procès des événements du 28 septembre ?
Idriss Chérif : J’ai toujours dit que la justice, c’est le point culminant d’un État. Il y a eu un procès qui a donné un verdict. Ils se sont appuyés sur certaines données pour donner des condamnations. Je pense que je suis respectueux et obéissant des lois. Donc, je pense que la justice a dit ce qu’elle devait dire et qu’ils ont interjeté appel et puis on saura toujours ce qui s’est passé le 28 septembre(2009). Pour le moment, je pense que Dadis a un moral fort, je l’encourage, je lui dis seulement de supporter ça fait partie de la vie des hommes.
2- Bilan du CNRD
Au petit matin du 05 septembre 2021, on a tous appris que le régime a changé et que nous sommes désormais dirigés par un groupe de militaires qui ont pris l’initiative de renverser le pouvoir en place. Et cela a été applaudi par des millions de Guinéens. Cela fait maintenant trois ans que nous sommes dans la transition.
Moi je n’ai pas un bilan à dresser. Le bilan que je voudrais, c’est de faire en sorte qu’on puisse sortir de cette impasse et que nous rentrions véritablement dans un État purement normal. Moi je vis actuellement dans un pays normal où je vois que les choses bougent et tous les indices sont au vert. Je pense que mon pays aussi doit passer à cela afin que nous puissions voir véritablement la vraie lumière parce que dans une transition il n’y a pas de développement, il n’y a pas d’évolution. Il faudrait que nous rentrions vite dans un État purement normal où les droits de l’homme sont respectés, où tout est respecté et que notre pays puisse s’asseoir désormais dans tous les concerts des Nations et discuter valablement.
Mais je pense aussi que le CNRD est en train d’évoluer à petits pas. Tout ce qu’il pose comme actions n’est pas totalement négatif. Les gens ont l’impression que le CNRD ne pose pas des actes mais quand vous voyez le Nigéria, il y a une inflation, vous voyez le Ghana et d’autres pays il y a de l’inflation mais en Guinée l’inflation est maîtrisée. Donc, les gens voient seulement le côté politique mais ne voient pas le côté économique. Donc, sur le plan économique, vraiment, je tire le chapeau au CNRD qui a su faire en sorte que notre économie soit restée stable. Et nous sommes en cinquième position en termes de réformes sur la garantie de notre économie après le Sénégal. C’est-à-dire, le premier, c’est le Nigéria, deuxième la Côte d’Ivoire, troisième le Ghana, quatrième le Sénégal et la Guinée vient en cinquième position. Donc, il faut reconnaître que le CNRD a fait beaucoup d’avancées dans ce sens-là.
3- Avant-projet de la nouvelle constitution
J’ai lu cet avant-projet de nouvelle constitution que j’ai véritablement apprécié. Je suis allé jusqu’en profondeur, j’ai vu que toutes les étapes de la démocratie s’y trouvent. Ça m’a fait plaisir quand même parce que je me suis dit que les gens ont su travailler dans l’ombre pour sortir quelque chose d’extraordinaire avec les deux chambres du parlement, c’est-à-dire l’Assemblée Nationale et le Sénat.
Aujourd’hui, c’est intéressant pour tout le monde et il faut essayer de voir ce que nous pouvons faire véritablement pour faire évoluer ce pays-là. Donc c’est déjà important pour moi. Je tire le chapeau aux initiateurs et au CNT. C’est vrai dans une constitution on ne peut être d’accord sur tous les points. Il y a des points sur lesquels je ne suis pas d’accord, je ne vais pas le dire ici. Je pense que ça fera l’objet d’un débat lorsque le texte sera soumis à un vote référendaire. En ce moment, on fera des remarques et on exposera notre point de vue. Ça ne sera pas pour moi mais ça serait entre mon parti et l’alliance politique à laquelle on fait partie et on va voir si on peut faire des amendements. En tout cas, cet avant-projet de la nouvelle constitution a été très bien mûri, très bien réfléchi et ça été bien édité et bien édifié.
4- Glissement du calendrier
Comme je l’ai toujours dit, la chose la plus importante dans la vie c’est la paix. Tout ce qui peut créer de la brouille dans un État il faut éviter. Il faut éviter de s’embrouiller, il faut éviter de faire en sorte que nous ayons un État un peu bancale dans lequel il y a des crises, des mouvements un peu partout. Nous avons décidé qu’il fallait trois ans de transition mais si nous n’avons pas fini de mettre tout ce qu’on s’est dit dans la transition et que tout n’a pas été appliqué je pense qu’il serait très important d’ajourner plus ou moins pour un an.
Je ne suis pas du tout contre (un éventuel glissement du calendrier). Comme je l’ai dit l’autre fois, pour moi ce n’est pas un problème. On peut s’asseoir, discuter et puis définir une nouvelle date, une autre manière de voir la transition. C’est-à-dire faire un gouvernement d’union nationale, faire en sorte qu’on puisse tous se retrouver pour que la confiance puisse renaître entre les Guinéens, c’est le côté le plus important.
5- Depuis quelques jours, un acte interdisant aux ministre de sortir du pays jusqu’en fin d’année. Beaucoup y ont vu une volonté du chef de l’Etat de procéder à un remaniement. Est-ce que si on faisait appel, vous seriez prêt à servir dans un gouvernement du CNRD ?
Ma priorité d’abord n’est pas d’appartenir à un gouvernement de transition. Je suis leader d’un parti politique, je ne suis pas à la recherche d’un poste. J’ai un parti qui me permet de me présenter à des élections. Ma priorité est de savoir où nous allons dans cette transition. Si c’est pour appeler tout le monde à venir, nous avons des cadres qui peuvent rentrer dans le gouvernement mais moi en tant que leader politique pour le moment ça ne m’intéresse pas.
6- Vous avez dit que le tableau économique est reluisant ? Aujourd’hui, les autorités de Conakry misent sur le projet Simandou. Vous qui avez été aux affaires, proche collaborateur du président Dadis, pensez-vous aussi que c’est le moment d’exploiter le fer de Simandou ?
Je me suis impliqué dans ce dossier depuis 2001, depuis le régime du président Conté. Donc, il y avait un problème de signature du dossier. On devait signer des accords avec Rio Tinto mais il y avait un blocage auprès du président de la République où le ministre d’alors et au niveau des grands projets il y avait de problèmes. Papa Keïra, qui était le patron du projet de Nimba fer qui a piloté ce dossier est venu me voir et m’a expliqué. J’ai pris le dossier pour aller voir le président Conté. J’ai dit au président que Sékou a donné l’indépendance à la Guinée, demain on dira qu’est-ce que vous vous êtes donné à la Guinée? Donc s’il y a des projets, ce qui n’est pas bon il faut enlever et puis signer avec eux parce que ce sont des acteurs mondialement connus dans le domaine du fer.
Ce sont des gens qui sont mondialement connus dans le domaine du fer mais on ne peut les diaboliser devant vous et puis on va accepter. Il a dit c’est vrai, donc il a appelé le ministre, Ibrahima Soumah et il a appelé Eric Coll. Il a dit : écoutez, voilà le dossier, allez-y enlever ce qui n’est pas bon dedans, vous corrigez ce qui est bon pour la Guinée et puis vous le signez. Voilà comment le dossier Simandou a été signé. Pour moi, je pense qu’on a des mines, on ne peut pas s’asseoir pour dire qu’on n’exploite pas. Il faut exploiter normalement et convenablement et que l’exploitation doit rentrer dans le développement du pays et non dans les poches de quelqu’un.
Je suis rassuré, je pense qu’on a même pris du retard. Je pense avoir des archives, tout ce qui a été dit était déjà dans le cahier de charges depuis longtemps. Faire le chemin de fer, une usine, il y a tout ça, il faut appliquer. Le CNRD est venu trouver que ce projet était déjà là, c’était déjà consigné. Un travail était préalablement fait depuis longtemps. Aujourd’hui, je pense qu’on est véritablement en retard sur le cas de Simandou. Il faudrait que les gens mettent en application ce qui a été dit. Vous avez dit le président Conté a commencé Simandou, il est parti. Le président Alpha est venu et il est parti aussi. Le président Mamadi est là pour le moment. Avant lui, Dadis est venu, il n’a même pas parlé de ce projet simandou parce qu’il y avait des problèmes. C’est un projet qui était entassé de plusieurs problèmes avec BSGR et autres. Je tire le chapeau pour le CNRD et surtout aux gouvernements du président Mamadi Doumbouya qui ont pu faire en sorte que ce projet voit le jour.
7- Quels conseils auriez-vous pour le président Mamadi Doumbouya, vous qui avez été aux affaires dans une période de transition ?
Lors de la prise du pouvoir, il a pris beaucoup d’engagements. Aujourd’hui les choses ont certainement évolué mais les engagements resteront toujours. C’est au président, Mamadi, consciencieusement qui doit comprendre qu’il a besoin de laisser un pays en paix et faire en sorte que nous restons dans la démocratie. Il doit rassurer les Guinéens qu’ils peuvent s’exprimer comme ils veulent et que la presse, vous voyez ici à Abidjan, il y a une floraison de la presse mais le Président Ouattara n’en fait pas cas. Donc, il faut laisser les critiques, ce sont les critiques qui font qu’on se forge pour devenir quelque chose. Que nous ayons une presse purement indépendante. Cela fait partie de la démocratie et ça fait partie de la grandeur des grands hommes. Si on lui dit de fermer la presse qu’il refuse.
C’est vraiment important pour lui qu’il y’ait beaucoup plus de critiques, beaucoup plus d’ennemis pour lui permettre de rester sinon le Président Ouattara allait rendre le tablier et partir. S’il y’a 100 médias, il y a au moins 70 qui l’attaquent. Donc, je lui conseille véritablement de libérer la presse et puis de pencher un peu sur le cas des hommes politiques qui sont en prison, même si on les reproche de problèmes économiques mais ils ont été des grands commis de l’État. Ça fait mal de voir le premier ministre, Kassory et sa suite en prison et d’autres personnes. Je demanderais qu’il use de sa magnanimité et de son honneur pour libérer ces prisonniers et permettre aux Guinéens de se réconcilier. Et ça ne fera que lui grandir. J’ai toujours dit que la prison, c’est le dernier degré de la souffrance sur terre.
Des hommes politiques sont dehors, ils ne sont pas en Guinée parce qu’ils craignent pour leur vie et d’autres ont peur de la prison. Il faut faire en sorte que le président Cellou puisse rentrer. C’est une histoire qui date de plusieurs années. Le problème de « Air Guinée », je pense qu’il y a eu des gestions qui sont plus que ça mais on a fermé les yeux dessus. Qu’il soit encore plus grand pour les permettre de rentrer et les rassurer. C’est vrai, il n’a jamais poursuivi le président Cellou, lui-même s’est mis en exil parce qu’on l’a convoqué, il n’est pas venu. Mais je pense qu’il y a une personne qui lui a dédouané, le président Mamadou Sylla. Donc, à sa place je serais rentré. Le Président, Mamadi Doumbouya doit même rassurer toutes ces personnes pour dire qu’il est venu pour rassurer tout le monde, il sera encore plus grand.
Thierno Amadou M’Bonet Camara (Rescapé N°4)
622 10 43 78