L’acte n’est pas anodin. Alors, il mérite d’être souligné, surligné, colorié. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas anodin, pardi ! Toto lui-même le comprend. Toto a certes la bouche ouverte et la truffe au vent, Toto, mais Toto il a bien saisi la portée et la singularité de l’acte décrété. Parce que ce type de résolution, ce n’est pas tous les jours que ça pointe du museau dans l’espace public guinéen. Alors, il mérite d’être souligné, surligné, mis en gras.
C’est comme bâtir une barraque. Brique après brique. L’embellir des plus magnifiques meubles. L’enduire de la plus belle des peintures.
La parer des plus étincelantes des couleurs. Elle est solide et enviable. Elle s’élève, majestueuse, puissante, lumineuse, radieuse. Elle est construite pour traverser les temps. Parce qu’elle est bâtie de loyauté à la patrie sur les ruines d’une autre qui enlaidissait toute la ville. Une maison qui dégageait de plus en plus de sales odeurs, de plus en plus de dégoutantes noirceurs. La bâtisse vient, telle une vague salvatrice pour débarrasser le quartier de cet autre taudis qui puait, révulsait, dégoutait, défigurait le visage de terres pourtant incroyablement belles.
Voilà donc cette bâtisse, plantée de ses solides piliers en béton armé, éclatante de son sol marbré, attrayante de ses meubles immaculés. Elle est là. Au milieu du quartier. Elle est là. Au cœur de la ville. Elle est ici, là, maintenant, élevé par la force de tes bras. Et de tes muscles. Et de ta vision. Et de tes convictions. Et te voilà, là, maintenant, sous les yeux du monde, remettant les clés à quelqu’un d’autre. Mettre les clés entre les mains de quelqu’un d’autre… C’est ce que le Colonel… euh… le Général… je voulais dire… vient de faire.
Le Groupement des Forces Spéciales, c’est Mamadi Doumbouya. Les deux lignes de destin se confondent.
Le Général a fabriqué le groupe. Chair après chair, vertèbre après vertèbre, goutte de sang après goutte de sang et en cela il a insufflé une étoile d’âme, comme dirait l’autre. Il l’a mis au monde, pour que le monde tienne. Oui, il lui a tenu la main pour qu’il marche. Il a fait découvrir ces jeunes aux Guinéens qui en ont été tout de suite fiers. Il les a portés dans son cœur, pénétrés dans son corps, incorporés dans sa respiration. Au moment où le pays chavirait, il les a guidés pour stabiliser les vagues. Au moment, les forces sociales étaient étouffées, où les partis politiques étaient asphyxiés, voire neutralisés, où les religieux étaient banalisés, il a été la pointe de la lance tenue par ces enfants, SES gosses.
C’est peu le dire qu’ils sont d’une certaine façon SES gamins. S’il ne les a pas mis au monde littéralement, individuellement, il les a forgés collectivement. C’est tout le sens d’ailleurs que prend son nom de code : Le Parrain. Le Père Spirituel. Celui qui tient la main de l’enfant. Celui qui apprend à l’enfant à respecter le monde et servir le monde. Celui qui, au plus fort du désespoir du peuple, leur a montré la voie pour balayer le quartier, se débarrasser du taudis qui enlaidissait les terres.
Pour ceux qui ont eu l’occasion de le voir avec ces jeunes en dehors des ennuyeuses cérémonies protocolaires, les soirs, dit-on, entre les murs intimes des soirées du palais, il paraît que le lien père-fils crève les yeux. On dit qu’une sorte de fibre paternelle emplit salons et bureaux. Il semblerait que la lumière d’une complicité certaine inonde les lieux. On dira donc qu’il n’y a pas plus logique que le père transmette à un des fils les clés de la maison. Le Parrain sera désormais le sage de la maison pour veiller à ce qu’elle ne soit pas affaissée, mais qu’elle soit plutôt renforcée, qu’elle ne soit pas abîmée, mais qu’elle soit plutôt bien gardée, qu’elle ne soit pas noircie, assombrie, mais qu’elle reste plutôt éclairée.
Et avouons-le, une fois de plus, qu’il faut une très bonne dose de modestie, une belle quantité d’humilité pour accepter de transmettre. La capacité de transmission, qui plus est de sa propre œuvre, sa propre création, n’est pas l’apanage de tout le monde. Faites un tour dans les partis politiques, vous vous en convaincrez et si vous n’en êtes pas convaincus, et si la réalité montre que j’ai raconté des âneries, alors démontez-moi la mâchoire à coups de marteau et de burin. La sédentarisation sur laquelle crache notre Colonel… euh Général, c’est le moteur n fois recyclé des boss(es) de nos partis politiques. Là-bas, plus ça dure à la tête du machin, plus ça dure encore, plus ç’a envie de durer.
Et gare à un garnement prétentieux qui vient tourner autour du kibanyi. On se plantera devant toi pour te limer le derch’. Même si parfois, les fesses de certains de ces petits malins sont en béton armé, en fer forgé. Ne faut pas l’oublier.
En renonçant au commandement du Groupement des Forces Spéciales, le Président de la République aura donné une leçon d’humilité et de responsabilité. Son acte raconte à la fois que son travail est terminé, mais aussi qu’il n’est pas indispensable.
En restant à la tête de cette unité d’élite jusqu’à ce jour, il a fait ce qu’on attend des grands leaders : construire une œuvre qui résiste au temps ; préparer et transmettre à un héritier qui sera capable lui aussi de laisser la place à un autre le moment venu légitimement et légalement, afin de perpétuer le sang. Et les rêves. Et les visions. Et les convictions.
C’est cela un grand leader. Celui qui se cramponne à la maison, même celle que lui-même a bâti, n’en est pas un. Par ailleurs, il ne doit pas oublier que ceux qui ont porté sur leurs têtes des sacs de ciment et des seaux d’eau, pousser des brouettes de sable et de graviers méritent respect. Ils sont aussi propriétaires de la bâtisse, qui méritent considération, comme le soulignait le Général… et qu’à un moment ou à un autre, faudra passer le témoin. Passer la main pour respecter les textes, dit-il. C’est cela un leader, un grand leader. Et le colosse de Mohamed V en est un. Incontestablement. J’ai dit !
Souleymane BAH
Secrétaire Général du Ministère de l’Information et de la Communication