Les coordinations régionales, que faire ? (Par Ibrahima Sanoh)

Pour certains, elles sont des tentacules des  factions politiques qui menacent notre Etat de désintégration. Pour d’autres, ce sont des entités fantoches créées par des cadres à la retraire sans attache avec les régions dont ils disent être les patriarches.  Entités  informelles constituées par cooptation ou par auto-désignation, selon la résolution de l’Assemblée Nationale du 6 janvier 2020, les  coordinations régionales sont sources de tensions et de  crises sociales et ont de relents ethniques et régionalistes. Invitant le  président de la République à s’affranchir de l’implication des coordinations régionales dans les affaires courantes de l’Etat, la formation du gouvernement et les nominations des hauts fonctionnaires de l’administration publique, les députés, sans interdire  les coordinations, ont essayé d’encadrer le fonctionnement de leurs structures en leur interdisant toute immixtion dans les affaires politiques. On ne saurait encadrer le fonctionnement des entités « informelles », non promues par la loi à travers une résolution qui n’a aucun caractère contraignant. 

Si on cantonne les coordinations régionales à leurs fonctions de  promotion des valeurs coutumières et de la paix, il faudra reconnaître qu’elles ont une certaine légitimité.  Historiquement notre pays a mis fin à la chefferie  dite coutumière.  Pour certains chercheurs, le succès du Non en Guinée au référendum du 28 septembre 1958 s’expliquerait  par la suppression de cette chefferie. Jacques  Rabemanajara préfaçant le livre Guinée : Prélude à l’indépendance disait : «  L’un des bastions du régime colonial  et son artillerie lourde, celle qu’il n’engage que dans les circonstances graves, s’appelle féodalité africaine ».  Aussi, il disait de Sékou Touré que : «  La liquidation  de cette  féodalité a permis  le 28 septembre de prendre l’indépendance de son pays. »  Pour lui, le  vrai mérite de Sékou Touré fut « d’avoir l’intuition des tâches premières à accomplir sans délai. » 

La politique de l’administration directe qui fut la doctrine officielle de la puissance coloniale française de 1904 à 1914 tendant à supprimer les grands commandements indigènes qui ont toujours été, au dire du gouverneur général William Ponty dans un rapport de l’AOF du 20 juin 1910, une barrière entre les administrateurs coloniaux et leurs administrés.  Ce fut le cas du Sénégal et de la Guinée.  Les chefferies à l’échelle des villages et canton (unité politique traditionnelle en pays malinké)  furent maintenues.  Ces chefs étaient des agents de l’administration coloniale, des agents non-fonctionnaires. Ils étaient dépourvus de tout statut et de tout droit, ils étaient révocables ‘ad nutum ‘  par l’administration. Leur rôle était de faire rentrer  l’impôt – celle de capitation notamment et quelques taxes annexes-,  sur lequel les ristournes leur était consentie.  C’était aussi leur seule source de revenu.  Aussi, ils fournissaient des prestations corvéables pour diverses besognes de l’administration coloniale.  Au dire de Jean Suret Canal, cette chefferie  coutumière supprimée le 31 décembre 1957 était plus solide au Fouta qu’ailleurs.  Cela expliquerait le Oui majoritaire de cette région comparé aux autres  au référendum du 28 septembre 1958 . 

La chefferie coutumière  a été liquidée dans notre pays, elle n’a donc aucun statut formel. Cependant, les chefs coutumiers existent dans nos cultures.  En pays malinké comme dans d’autres localités du pays, celui qu’on appelle Soty (patriarche) existe encore.  Dans certaines localités : Macenta, N’Zérékororé , il y a controverses quant à leur désignation.   Aussi, chaque fois qu’une grande autorité se déplace  pour une visite dans une contrée du pays, elle rencontre les notabilités. 

Il faut lutter contre les coordinations régionales qui œuvrent à l’hégémonie de leurs régions et leurs communautés et dont les actions sapent la paix, le vivre-ensemble.  Mais les supprimer ne  donnerait pas l’effet escompté, elles sont informelles. Il faut encadrer  la chefferie coutumière  dont l’épanouissement mettra fin aux coordinations régionales.  Pour ce faire, les députés doivent accepter de créer un  Conseil National des Sages  ou des Chefs Coutumiers dont les missions doivent être la promotion de nos coutumes, l’échange interculturel, le règlement pacifique des conflits, l’émission d’un avis consultatif sur les questions touchant la paix sociale. Ce conseil doit être constitué des autorités  coutumières désignées par leurs pairs à raison d’une seule par ville  et à présidence tournante pour des villes regorgeant plusieurs communautés.  Le conseil  des sages sera alors composé d’un patriarche de chaque ville.  Les députés devront définir ceux qui ont qualité de chef traditionnel. Ils doivent les conférer les privilèges qui sont : la carte d’identification, la décoration lorsque leur mérite est établi, le rang protocolaire dans les cérémonies officielles, la protection contre les menaces, outrages, violences lors de l’exercice de leur  fonction.  La loi doit les soumettre à l’obligation de neutralité, d’impartialité  et de réserve.  Ils ne doivent pas  être éligibles pendant leurs fonctions. 

Avant, nous voulions d’un Etat, cela justifiât la suppression de la chefferie traditionnelle.  Nous devons construire une nation. Cela  exige qu’on tienne compte de nos différences et qu’on mette les sages, les chefs coutumiers, à contribution.  Les  chefs coutumiers ne doivent pas être des agents de la promotion de la haine de l’autre, de la friction sociale, il faudra  dire ce qu’on attend d’eux. Cela se fait par l’acceptation du fait que les structures informelles que constituent les  chefferies coutumières sont investies d’une certaine légitimité que la loi ne saurait leur ôter. 

Ibrahima SANOH, citoyen guinéen. 

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