C’est un rêve de treize ans qui se réalise sous les yeux des victimes des événements du 28 septembre 2009. Après toutes ces années d’attente, le procès est en effet à son quatrième mois. Ouvert depuis le 28 septembre dernier, il a déjà permis de faire comparaître huit accusés pour un total de 29 journées d’audience. Le dernier à comparaître est le capitaine Moussa Dadis Camara, président de la transition au moment des faits. Parmi tous ces accusés, personne n’a reconnu les faits qui lui sont reprochés. Une chose qui irrite et met en colère ceux qui ont enduré y compris dans leur chair l’innommable et l’indicible, le lundi 28 septembre 2009.
A jeun, Saran Cissé, la quarantaine, a vécu la pire journée de sa vie le 28 septembre 2009. C’est l’une des dizaines de femmes victimes de viol et d’autres formes de violences au stade et environs ce jour. Elle s’en souvient comme si c’était hier.
«Ce jour, j’étais à jeun. Je n’ai même pas passé la nuit à la maison. J’ai dormi chez une copine pour me permettre d’être au stade très tôt le matin. Et effectivement, à 6 heures déjà, j’y étais. J’ai vu le colonel Tiegboro et ses hommes…à chaque fois qu’on tentait de rentrer dans le stade, ils nous repoussaient. À 10 heures et quelques minutes, on a forcé la situation. Avec l’arrivée des leaders, on est rentré. Et les tirs ont commencé. Il y avait de la fumée partout.
J’ai fait et refait le tour du stade, je n’ai pas pu sortir. Je me suis retrouvée à côté d’une petite porte qui mène vers l’Université Gamal, mais ils avaient mis le courant dessus. Quiconque s’en approchait, risquait de se faire électrocuter et de mourir. J’ai tenté d’escalader le mur, c’est là où un groupe d’hommes cagoulés m’a intercepté, ils m’ont bastonnée, ils m’ont violée à tour de rôle et abandonnée sur place dans les mains d’une dame policière qui me bastonnait. Entre temps, les véhicules de la croix rouge sont arrivés.
Je suis montée trois fois dans le pick-up, les policiers m’ont fait descendre. C’est un autre policier, qui a finalement eu pitié de moi, qui m’a envoyée chez lui à Landréah avec d’autres personnes aux environs de 17heures. On nous a servi à manger, j’ai coupé mon jeun avant l’heure.
À 18 heures, il m’a demandé où j’habite. J’ai répondu que c’est à Dixinn, près de chez Mamadou Sylla. Ils m’ont convoyée jusqu’à Dixinn. Pieds nus, je voulais traverser les rails et aller chez mon frère. Là aussi, j’ai eu la malchance de tomber sur un autre pick-up, ces gens-là m’ont fait pire que ceux qui m’ont violée au stade. Ils m’ont jeté à côté des ordures. Des jeunes sont venus me prendre pour l’hôpital, en cours de route, ils ont entendu des klaxons, ils pensaient que c’étaient les militaires, ils m’ont déposée au bord de la route, ils ont fui. Heureusement pour moi, c’était la croix rouge.
Ces gens-là m’ont prise. On est allé à Donka. Mais il fallait être présent pour voir ce qui se passait à Donka. Dr. Fatou Siké et le ministre Diaby, refoulaient même les véhicules de la croix rouge. J’ai passé la nuit à Donka et c’est dans le coffre d’un véhicule que je suis montée pour sortir de l’hôpital à 14 heures, sans bénéficier d’un seul soin. Je suis allée dans une clinique à Gbessia où j’ai reçu les premiers soins.
Le médecin qui m’a examinée, c’était un Togolais. Il m’a dit de faire des examens, je n’ai pas accepté. En effet, le premier policier qui m’a violée au stade m’avait dit qu’il me laisserait un cadeau que je ne vais jamais oublier. Je ne voulais donc pas me soumettre à des examens et risquer de découvrir le ‘’cadeau’’ qu’il m’avait laissé… », raconte-t-elle, en larmes.
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Il se trouve qu’en écoutant les accusés qui se relaient depuis quelques semaines devant le tribunal, elle a le sentiment de vivre une horreur pire que celle qu’elle a endurée au stade. Le fait que tous épousent la dénégation et s’abstiennent de reconnaître les faits.
Très peu soutenues par l’Etat durant les 13 dernières années, ces victimes, pour la plupart, vivent dans un dénuement total. Si elles ont tenu, c’est avec l’espoir qu’un jour, justice leur serait rendue. « Il n’y a pas une victime qui ne souffre pas aujourd’hui. Personnellement, j’ai un problème de nerfs, je n’ai pas vers qui me tourner. L’Avipa n’a pas les moyens de soutenir toutes les victimes. Dieu seul sait comment je trouve les frais de transport pour venir prendre part aux audiences du tribunal depuis que le procès a commencé. Et j’y vais sans avoir pris le moindre petit-déjeuner, parce que je n’en ai pas les moyens. Je passe toute la journée sans manger », explique Saran, comme pour relever l’ampleur du sacrifice qu’elle consent pour espérer que justice lui sera rendue.
Sauf qu’il y a de quoi commencer à désespoir. « Lorsque j’ai écouté Dadis le lundi, ma tension est montée à 18. On demande à Dadis, il fait dans la divagation. Quand j’entends Tiegboro dire qu’il ne connaît rien, quelqu’un que j’ai commencé à voir depuis six heures du matin le 28 septembre 2009 au stade, quand j’entends Mamadou Aliou Keïta dire qu’il n’a jamais vu Aissatou, qui a dormi des années avec sa copine chez qui il venait matin, midi et soir… Quand je les entends, c’est comme si on m’a découpée. Nous victimes, ce qui nous intéresse, c’est de savoir qui nous a fait du tort et pourquoi. Dadis peut dire qu’il n’a pas été au stade, mais il ne peut pas dire qu’il ne peut pas identifier les corps habillés qui étaient au stade, même à travers les images. Il ne faut pas qu’on nous roule dans la farine« , proteste Saran Cissé.
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Sous l’anonymat, une autre victime, les yeux remplis de larmes, raconte sa mésaventure. Elle dit avoir été poignardée à trois niveaux. Elle aussi, demande aux accusés de dire la vérité.
« J’ai subi des choses qui demeurent inimaginables même dans le cadre d’un film. J’interpelle les accusés, qu’ils sachent que ce ni pour l’affaire de la prise du pouvoir, ni celle du 3 décembre qu’ils ont été renvoyés devant le tribunal. Ils sont là pour les événements du 28 septembre 2009 qui ont eu lieu au stade. S’ils se sont tirés des balles entre eux, c’est leurs affaires personnelles, nous n’avons pas besoin de le savoir. Ici, normalement, on doit parler des tueries, des viols et violences que nous avons subis au stade ? Pourquoi et comment cela est-il arrivé ? C’est la réponse à cette question que nous voulons savoir. Moi, on m’a poignardé à la tête, au bras et au pied. Ils n’ont qu’à nous dire, pourquoi ils nous ont fait ça, ils n’ont qu’à dire la vérité sur les événements du 28 septembre 2009, en tant que victimes, c’est ce qui nous intéresse », a-t-elle lancé.
Asmaou Diallo, une mère de famille, a perdu son fils au stade du 28 septembre. Aujourd’hui, elle est la présidente de l’Association des Victimes et Amis du 28 septembre 2009 (Avipa). Avec cette association, la bonne dame s’est battue pendant treize ans pour tenter d’obtenir justice pour son défunt fils, mais aussi toutes les autres victimes. Elle aussi a cessé d’assister au procès parce qu’elle supporte de moins en moins ce qu’elle entend.
« Les accusés sont en train de jouer, ils sont en train de faire diversion. Je regrette beaucoup cette situation, parce que le procès est ouvert mais ce n’est pas ouvert pour qu’on reste là à applaudir ou à rire dans la salle. Non ! Mais c’est pour écouter les faits qui se sont passés. Il y a eu des morts, des disparus, des femmes qui ont été victimes de viols ou de violences. Ce qui veut dire que la Guinée a été souillée, le sang des innocents versé sur la terre guinéenne.
Alors pour quelle raison, ils refusent de dire la vérité ? Qu’est-ce qui empêche les accusés de nous dire la vérité pour que les Guinéens puissent respirer ? Moi, je suis vraiment très mal à l’aise, quand je regarde la télé. Parce que je ne viens plus au tribunal, je trouve que jusqu’à présent, on n’est pas encore arrivé à ce à quoi je m’attendais. Je m’attendais vraiment à ce qu’on parle de cette justice, à ce que ces gens-là (les accusés) expliquent exactement pourquoi il y a eu ce massacre. Mais malheureusement, chacun vient pour essayer de sortir sa tête étant donné que tous les Guinéens ont vu ce qui s’est passé le 28 septembre 2009, on connaît ce qui s’est passé, toute la Guinée a été victime de cette situation. Alors, de grâce, qu’ils acceptent de nous dire la vérité.
Il est vrai qu’on ne peut pas les frapper, on ne peut pas les insulter. Mais il faut un peu plus de rigueur dans la salle. Je sais que le tribunal est carré, les avocats des parties civiles font du bon boulot mais j’avoue que les avocats de la défense, je ne sais pas à quel jeu ils sont en train de jouer. Mais il faut absolument qu’il y ait la vérité dans cette situation, parce que sans cette vérité, la Guinée ne va pas s’en sortir.
Durant treize ans on s’est battu avec Alpha Condé pour qu’il organise ce procès, il n’a pas voulu. Aujourd’hui le colonel Mamadi Dombouya a eu l’audace d’organiser le procès mais de grâce, qu’on honore la Guinée. Aujourd’hui, tout le monde entier a les yeux braqués sur la Guinée. On fait même des sketchs pour les détenus, parce que c’est tellement ridicule pour eux.
Sinon, s’il y avait la rigueur, s’il y avait vraiment du sérieux avec les accusés, je suis sûr que ça n’allait pas se passer comme ça. Je regrette beaucoup cette situation. Je pensais que l’ouverture de ce procès allait donner beaucoup plus de poids à la Justice guinéenne et surtout que les accusés seraient vraiment responsables pour donner leur part de vérité. Si toute la Guinée devait témoigner, je suis sûr qu’ils (les accusés) n’allaient pas pouvoir parler. Ce procès devait être quelque chose qui allait mettre la peur au ventre de tout militaire qui sait qu’il a fait du tort», a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’Association des Victimes et Amis du 28 septembre 2009.
Les regards des victimes restent tournés vers le tribunal pour que les débats soient davantage centrés sur les évènements du 28 septembre et mènent à la manifestation de la vérité dans cette affaire qui a endeuillé plusieurs familles.
Diop Ramatoulaye
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