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Sénégal : neuf morts dans les violences après la condamnation d’Ousmane Sonko

L’opposant au président Macky Sall a été condamné à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse », mais acquitté de l’accusation de viols. De violents heurts entre ses partisans et la police ont éclaté à Dakar et Ziguinchor, ville de Casamance dont il est maire.

De toutes parts, il y avait de la colère à Dakar. Jeudi 1er juin, le verdict de l’affaire politico-judiciaire la plus sensible du pays n’a apaisé ni la victime ni l’accusé. Dans un tribunal entouré d’un épais cordon policier, les juges ont condamné Ousmane Sonko, le principal opposant sénégalais, à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », une peine qui suffit à le rendre inéligible pour la présidentielle de février 2024. Il a en revanche été acquitté des accusations de menaces de mort et de viols, pour lesquelles le procureur avait requis dix ans de prison.

Dès la condamnation d’Ousmane Sonko connue, des violences ont éclaté dans plusieurs villes du pays. Neuf personnes ont été tuées dans des affrontements entre la police anti-émeutes et des partisans de l’opposant, selon le ministre de l’intérieur, Antoine Felix Abdoulaye Diome. Tout en appelant au calme, il a confirmé que les autorités avaient restreint l’accès aux réseaux sociaux, ce que de nombreux Sénégalais avaient constaté notamment pour Facebook, WhatsApp ou Twitter. Le ministre a justifié ces restrictions par la volonté d’empêcher « la diffusion de messages haineux et subversifs ».

Ousmane Sonko, président du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), était accusé par Adji Sarr, une ancienne employée du salon de massage Sweet Beauty, de viols répétés entre décembre 2020 et février 2021. Elle avait alors 21 ans. « Je suis effondrée », a déclaré Adji Sarr au Monde, peu après sa sortie du tribunal où elle s’était rendue contrairement à M. Sonko qui a boycotté les audiences. Ndèye Khady Ndiaye, la propriétaire du salon de massage, a été condamnée à deux ans de prison ferme pour « incitation à la débauche ». Elle devra payer solidairement avec Ousmane Sonko 20 millions de francs CFA (quelque 30 000 euros) de dommages et intérêts à Adji Sarr.

« Ousmane Sonko m’avait dit à plusieurs reprises que personne ne me croirait. Il avait raison. Ces deux ans de prison ferme, je n’en ai rien à foutre ! Il m’a violée, c’est ça la vérité. Je suis choquée. Tout ça pour ça. C’est lui qui a gagné, j’ai perdu », précise-t-elle, d’une voix fatiguée.

Gagnant ? Dans le camp de l’opposant, on s’estime aussi victime. « Ce verdict sur commande est l’ultime étape d’un complot ourdi par Macky Sall et ses sbires », estime le bureau national du Pastef dans un communiqué publié jeudi dans l’après-midi, appelant « le peuple sénégalais » à « descendre dans la rue » et demandant aux « forces de l’ordre et à l’armée de se mettre de son côté ».

Violences à Dakar et Ziguinchor

Dans une capitale où beaucoup de commerçants avaient laissé leur rideau baissé jeudi et où de nombreuses écoles étaient restées fermées, des dizaines de partisans d’Ousmane Sonko ont protesté contre le verdict. Des jeunes, qui constituent la principale base électorale de l’opposant, se sont regroupés autour de l’université de Dakar, barrant l’avenue Cheikh-Anta-Diop à l’aide de pneus brûlés, de pierres et de poteaux. Des groupes ont affronté à coups de pierres les policiers ripostant avec des gaz lacrymogènes. Plusieurs cars de la faculté de médecine, du département d’histoire et de la principale école de journalisme du pays ont été incendiés et des bureaux saccagés.

« Il a été accusé de viol et il est condamné pour corruption de jeunesse, mais c’est quelle justice ça ?, lance un manifestant. Nous allons barrer des axes pour essayer de montrer à la population et au président Macky Sall que nous ne sommes pas d’accord avec lui et avec la justice. » Des violences ont aussi été constatées à Ziguinchor, la capitale de Casamance dont Ousmane Sonko est maire, ainsi qu’à Mbour et Kaolack (ouest) ou Saint-Louis (nord).

L’opposition est unie pour dénoncer la condamnation d’un de leurs leaders. « Cette sentence inique et totalement injustifiée est le reflet d’une volonté délibérée de l’écarter de la course à la présidentielle de février 2024 », a dénoncé Malick Gakou, l’un des cadres de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW) dont est membre le Pastef.

« C’est un verdict surprenant. Ousmane Sonko était poursuivi pour viols et menaces de mort. Or ces deux chefs d’inculpation n’ayant pas été retenus, l’on se serait attendu à une relaxe pure et simple. Cette décision confirme la tentative du pouvoir d’éliminer Ousmane Sonko de la présidentielle. Je crains que ce verdict injuste ne ravive les tensions, mais cela renforcera la résistance contre un troisième mandat de Macky Sall », souligne pour sa part Aminata Touré, ancienne ministre du président sénégalais passée à l’opposition en 2022, en dénonçant la volonté présumée de Macky Sall de briguer un nouveau mandat.

De facto assigné à résidence

« Ce qui était en jeu pour le gouvernement, c’est le libre fonctionnement de la justice sénégalaise. Malgré toutes les intimidations et les menaces tentées par le camp de l’accusé, la justice, comme à son habitude, a exercé pleinement sa compétence sans pression et de la façon la plus indépendante », a réagi Abdou Karim Fofana, le porte-parole du gouvernement et ministre du commerce.

Le président sénégalais est accusé par ses adversaires d’avoir monté un « complot » pour écarter son rival le plus dangereux de la course à la présidentielle de février 2024. La peine de deux ans de prison ferme prive Ousmane Sonko de ses droits civiques, selon Bamba Cissé, l’un de ses avocats, qui affirme que son client ne peut pas faire appel du fait d’avoir été jugé par contumace. Son éligibilité est également menacée par une autre condamnation, à six mois de prison avec sursis, pour diffamation contre le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, le 8 mai. L’affaire est désormais étudiée par la Cour suprême.

Jeudi, ni ses proches, ni ses avocats, ni la presse ne pouvait approcher le domicile d’Ousmane Sonko à Cité Keur Gorgui, à Dakar. Un lourd dispositif des forces de l’ordre entourait sa maison, où il est de facto assigné à résidence depuis qu’il a été ramené de force dans la capitale le 28 mai.

Les autorités ont ainsi mis fin à sa « caravane de la liberté » partie de Ziguinchor, le fief de l’opposant situé à 500 kilomètres au sud de Dakar. Ousmane Sonko avait alors appelé ses partisans à le rejoindre. Il avait promis « un combat final » à Macky Sall et le « gatsa gatsa » (« œil pour œil, dent pour dent »). Jeudi en début d’après-midi, l’opposant, habitué à s’exprimer sur les réseaux sociaux, était resté silencieux. Les autorités n’ont pas annoncé si elles allaient l’arrêter et les avocats d’Ousmane Sonko ont prévenu que leur client n’avait nullement l’intention de se constituer prisonnier.

Lemonde.fr

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