Du 23 au 25 novembre 2023, quatre-vingt-un (81) conseillers nationaux siégeant au Conseil national de la transition (CNT) et neuf (9) hauts fonctionnaires de l’administration parlementaire ont suivi une formation portant sur les différents aspects des missions et du fonctionnement d’un parlement, en particulier le CNT. Ladite formation a été facilitée par le Centre Européen d´Assistance Électorale (ECES) avec le financement de l´Union Européenne. En marge de cette formation, madame Joëlle Milquet, présidente du comité stratégique dudit centre, a accordé un entretien à un groupe de journalistes dont une de Guinee114.com. Présidente de parti pendant douze (12) ans, ancienne ministre, ancienne vice-Première ministre et ancienne parlementaire pendant vingt-quatre (24) ans, la Belge s’est exprimée sur le déroulement de cette formation, le contenu des modules abordés mais aussi et surtout l’importance de cette formation pour les conseillers nationaux.
Entretien :
Guinee114.Com: Vous venez de boucler une formation de trois jours avec les conseillers du CNT. Sur quoi portait cette session ?
Mme Joëlle Milquet : Je suis en Guinée dans le cadre d’une mission de l’Union Européenne qui a chargé le Centre européen d’Assistance électorale, qui est une ONG dont je suis la présidente du comité stratégique actuellement, de faire toute une formation demandée par le Conseil National de la Transition et son président à tous les conseillers du CNT. Une formation de trois jours sur la maîtrise de la fonction législative.
Donc ça consiste à la fois à parler de bases d’une démocratie puisque la transition est chargée de préparer la démocratie de demain en Guinée, de voir quelles sont les fonctions des parlements notamment la fonction législative et de contrôle, d’analyser toute l’importance du respect des droits humains, des obligations internationales en la matière. Et surtout, on a passé beaucoup de temps à analyser la fonction législative des conseillers : comment est-ce qu’on doit élaborer une loi pour qu’elle soit efficace, quelles sont les étapes, les obligations et puis comment on rédige aussi formellement une loi pour qu’elle soit structurée, claire pour les citoyens de Guinée.
On a passé trois jours très intensifs avec des conseillers très impliqués et très actifs dans les formations, qui étaient vraiment à la hauteur. J’ai beaucoup apprécié à la fois les contacts, leurs connaissances très élevées de la fonction parlementaire.
Quels sont les enseignements tirés de ces trois jours de renforcement de capacités ?
L’une des demandes était de pouvoir encore plus sensibiliser les conseillers qui, au départ, ne sont pas issus du monde politique. A part les quinze (15) représentants des partis politiques, ils sont issus de la société civile, de la diaspora…De les sensibiliser non seulement au travail de contrôle de l’exécutif, à l’analyse des projets de lois qui viennent du gouvernement et de les sensibiliser au fait qu’on peut déposer et avoir de l’initiative législative.
J’étais très impressionnée de voir que beaucoup de parlementaires, de conseillers qui sont dans les différentes commissions sont en train de réfléchir à différentes propositions de lois notamment pour améliorer les couvertures santé notamment en matière d’éducation, économique… Et c’était intéressant de pouvoir expliquer les processus pour arriver à des législations efficaces. Donc à la fois des questions politiques, des questions juridiques, des questions d’organisation. On a abordé un peu de tout pendant ces trois jours.
En quoi consiste votre rôle au sein du projet d’appui au renforcement de la démocratie (PARD-Guinée) ?
J’ai été ministre pendant plusieurs années en Belgique, j’ai été présidente de parti pendant douze (12) ans, j’ai été parlementaire pendant vingt-quatre (24) ans. Donc je connais bien la matière. On m’avait sollicité pour ces raisons-là. Du coup on a eu pas mal d’échanges, parce que c’était bien de faire des ateliers interactifs et donc ils ont pu aussi exprimer des idées d’initiatives, des sensibilités. Quand on définit une démocratie, il ne suffit pas de voter, il ne suffit pas d´avoir un parlement. Il suffit aussi et surtout d’avoir une démocratie participative où les citoyens seront de plus en plus consultés. C’est aussi avoir un État décentralisé, qui puisse décider au plus près des citoyens. C´est tout ce débat-là qu’on a pu avoir ensemble.
Vous êtes présidente du comité stratégique d´ECES, en quoi consiste votre mission au sein du top management de ce centre ?
Le Centre Européen d’assistance aux élections est une grande ONG qui est à Bruxelles et dont l’objectif c’est de soutenir les démocraties, faire de l’assistance démocratique électorale dans les pays qui le demandent pour et au compte de l´Union Européenne.
Donc ici, c’est un grand projet de l´Union Européenne qui soutient fortement la Guinée et les Guinéens dans différents sujets, que ce soit en matière d’environnement, d’énergie, que ce soit en matière notamment d’assainissement, des eaux mais aussi en matière de gouvernance.
Dans ce cadre-là, ils ont choisi le centre européen d’assistance électorale pour être un peu leur bras armé dans tous les projets liés à la gouvernance. Et, le centre européen d’assistance électorale ici en Guinée, est le partenaire du Conseil National de la Transition, il est aussi le partenaire du ministère de l´Administration du territoire et de la Décentralisation, il est aussi partenaire de la Cour suprême pour pouvoir répondre à leurs demandes en termes de renforcement de capacités.
Donc, ici on travaille à la demande du Conseil National de Transition. Mais dans les jours qui viennent, le centre européen d’assistance électorale fait toute une formation pour la Cour suprême avec des spécialistes de l´OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) à la demande de Cour suprême.
Donc nous on est là à la demande des autorités guinéennes pour répondre à leur demande de formation. On est financé par l´Union Européenne et ça s’inscrit dans le cadre de la politique très active que l´Union Européenne met à disposition de la Guinée parce que c’est une grande priorité de la politique de développement de l´Union Européenne.
Comment l’expérience d’ECES et son approche pourraient-elles être profitables et utiles aux pays africains en transition ou sur la voie de la démocratie ?
Ici c’est très important parce que le CNT a des missions fondamentales : Premièrement, de pouvoir adopter une nouvelle constitution qui remette le pays dans l’ordre normal le plus vite que possible avec des institutions démocratiques, des élections libres, crédibles et transparentes avec de nouvelles autorités et enfin une démocratie telle que la population guinéenne le souhaite.
Donc le CNT est là pour un moment court, pour faire cette constitution mais en même temps, pour gérer la fonction législative de l’Etat. Il y a le respect des droits humains, des matières fondamentales en ce qui concerne la vie quotidienne des Guinéens en attendant un vrai parlement pour l’exercer.
Mais ils font aussi la promotion de la défense des droits de l’Homme pendant ce temps, ils ont aussi toute la vigilance par rapport à l’agenda de la transition, la réconciliation nationale. C’est donc des grandes compétences. Ils sont demandeurs d´un soutien en formation que ce soit sur la fonction législative, dans 15 jours sur le contrôle du gouvernement et on continue aussi à mettre un focus sur les femmes pour faire en sorte qu’il y ait plus de femmes qui accèdent à la fonction politique. Voir comment soutenir les organisations féminines. On a plusieurs projets pour les deux années qui viennent.
Quel regard portez-vous sur l’appui de l’Union Européenne à la transition guinéenne ?
Le président du CNT l’a dit ainsi que la représentante de la délégation de l’Union Européenne, le soutien à la gouvernance et à la préparation de l’avènement de la démocratie, le soutien à la transition dans cet objectif-là, c’est une grande priorité de l’Union Européenne qui met les moyens avec le soutien vis-à-vis de tous les partenaires en concertation avec l’Etat guinéen.
C’est donc une grande priorité mais l’Union Européenne a aussi énormément une politique de soutien au développement de la population en général dans d’autres secteurs comme la santé, l’environnement, l’économie, l’entrepreneuriat des femmes etc.
Quand on compte les Etats membres de l’Union Européenne, c’est le plus grand partenaire des Guinéens en termes de volonté et financier aussi. On a quand-même beaucoup d’histoires communes et j’ai senti énormément de volonté de part et d’autre avec le président du CNT de continuer ce partenariat.
Vous avez été vice-Première ministre de Belgique et avez été plusieurs fois ministre, que préconisez-vous pour une réussite de la transition et un ancrage de la démocratie et de l’Etat de droit en République de Guinée ?
Ce sont des sujets dont on a parlé avec les conseillers du CNT pendant ces trois jours. C’est de voir comment arriver le plus vite possible à une Constitution qui soit moderne, qui réponde aux aspirations du dialogue qui a eu lieu avec la population, surtout de faire en sorte que la transition soit la plus courte possible, pour arriver à un Etat démocratique mais dans les meilleures conditions sans que ça ne soit trop longtemps.
En attendant, c’est de voir avec eux comment ils pouvaient optimiser toutes les compétences qu’ils ont dans les mains. C’est le plus important. Car, comme je l’ai dit, contrairement aux autres Assemblées, certes eux ils ne sont pas élus, mais ils sont un constituant, ils vont pouvoir rédiger une Constitution, la Loi suprême du pays, c’est donc une grande responsabilité.
Ils ont toutes les compétences de faire la promotion des droits de l’Homme, de vigilance, de faire de nouvelles propositions de Lois pour faire exécuter des droits fondamentaux notamment la Charte de la transition, mais aussi des textes internationaux qui s’imposent à la Guinée comme le pacte international des droits sociopolitiques et économiques qui sont aussi obligatoires en Guinée. Il y a aussi le devoir de comment les exécuter et j’ai senti beaucoup d’intérêts de la part des conseillers nationaux.
Que conseilleriez-vous aux jeunes et femmes en Afrique et particulièrement en Guinée qui vous lisent en ce moment ?
J’ai toujours pensé que l’avenir de la démocratie en Afrique était dans la main des jeunes et des femmes. Il faut beaucoup plus de femmes en politique non pas parce qu’elles seraient les plus intelligentes. C’est parce qu’elles ont une perception différente et qu’on a besoin de cette diversité. Elles sont pragmatiques. Il faut donc une grande présence féminine dans les Assemblées, les gouvernements, ça change un mental parfois trop guerrier. Je pense que la présence féminine est très importante.
L’Afrique est peuplée à 70% de jeunes, ce sont eux qui vont faire le renouvellement de la gouvernance de demain, l’arrivée d’une vraie démocratie qui soit portée par eux parce que ce sont eux qui peuvent s’engager en politique.
Je pense qu’ils peuvent changer des pratiques qu’ils n’aiment pas, venir avec une nouvelle vision plus environnementale, humaniste de manière globale. Je pense qu’on a tous ce besoin-là car en Europe et en Afrique, l’avenir est pratiquement dans la main des jeunes et des femmes.
Quel autre message souhaiteriez-vous ajouter pour clore cet entretien ?
J’ai eu un immense plaisir de travailler avec des personnes compétentes, ouvertes, sincères avec lesquelles j’ai eu de véritables dialogues, et de la convivialité. On a été bien accueilli, nous avons eu des échanges de haut niveau. Je suis très honorée d’avoir pu faire cette formation avec des gens de cette envergure. J’aime beaucoup la Guinée.
Entretien réalisé par Diop Ramatoulaye
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