Introduction :
En novembre 1967, je débarque à Bamako par le chaland qui reliait la Guinée et le Mali en période de crue du fleuve Niger. J’ai 18 ans, et je nourris l’ambition de poursuivre mes études dans un lycée bamakois. Mais faute de dossier scolaire adéquat, j’abandonne les études pour apprendre un métier. J’exerce plusieurs petits boulots de subsistance avant d’être recruté Assistant-bibliothécaire au Centre culturel Dioliba à la mission catholique.
Je rentre huit ans après au bercail et me fait embaucher par la fonction publique pour servir à la Bibliothèque nationale de Conakry. J’y travaille onze ans puis j’obtiens une mutation pour servir au Centre de perfectionnement administratif (CPA) et plus tard au Centre national de surveillance et de protection des pêches (CNSP) d’où je parts pour la retraite.
Pendant que je travaillais à la Bibliothèque nationale, j’ai pris plaisir de rassembler au fil des années une foule d’informations qui m’ont permis de mieux connaitre l’institution, informations dont je me fais maintenant le devoir de partager avec le public, histoire de faire découvrir ou redécouvrir cette administration qui n’est rien moins qu’une de nos institutions de souveraineté.
Attributions d’une Bibliothèque nationale
Ayant été initié au métier de bibliothécaire dans une bibliothèque publique, je me devais désormais d’apprendre la mission et le fonctionnement d’une Bibliothèque nationale.
Toute Bibliothèque nationale digne de ce nom a pour attributions :
- De collecter, de traiter et de conserver tout le patrimoine national imprimé
- De publier la bibliographie nationale
- De planifier et de coordonner les activités documentaires nationales
- De fournir aux bibliothèques du pays des services centraux de bibliothéconomie : catalogues collectifs, services bibliographiques, acquisitions communes, etc…
- De mettre au point un système national d’informations
- Enfin de promouvoir la coopération internationale.
Notons que la Bibliothèque nationale de Conakry n’a jamais bénéficié d’une autonomie administrative et financière, ce depuis la première république. Par conséquent elle n’a pas les moyens de sa mission.
Historique
Notre Bibliothèque nationale tire ses origines du Centre IFAN (autrement appelé Centrifan) de Guinée. Ce Centre lui-même, créé le 01 avril 1944, était la représentation locale de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) qui avait son siège à Dakar, la capitale de l’Afrique occidentale française (AOF) d’alors.
Par décret N° 74/PG/ du 10 novembre 1958, le Centrifan devient Institut national de recherche et de documentation de Guinée (INRDG). Il faut préciser que la Bibliothèque nationale et les Archives nationales constituaient une même division au sein de l’INRDG, la Division documentation.
L’Institut changera de statut par deux fois (Secrétariat d’Etat / Ministère de la recherche scientifique) avant de s’s’appeler en 1983 Institut central de coordination de la recherche et de la documentation de Guinée (ICCRDG) au sein duquel la Division documentation éclatera en deux divisions distinctes : Bibliothèque nationale et Archives nationales.
La Direction de la recherche scientifique et technique (DRST) succède ensuite à l’ICCRDG. Entre temps une décision survenue en mars 1986 rattache la Bibliothèque nationale à la Direction nationale de la culture qui, elle-même, relève du Ministère de l’information, de la culture et du tourisme.
Une année avant, en 1985, sur financement du Centre de recherche pour le développement international (CRDI), le Centre national de documentation et d’information pour le développement (CENDID) est créé, il a pour tutelle la DRST, son personnel est constitué par une partie du personnel de la Bibliothèque nationale.
En 1989, la Bibliothèque nationale est amenée à fermer ses portes sur décision commune du Ministre de l’enseignement technique et de la formation professionnelle et celui de l’information. Motif, ses locaux doivent servir de siège au Ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, et faute de trouver des locaux de relogement, ses fonds sont expédiés dans des emballages de fortune dans les caves de la bibliothèque universitaire de Gamal, de celles du Palais du peuple et dans la salle des spectacles de la Maison des jeunes de Dixinn. C’est quelques années plus tard qu’une partie des fonds a été récupérée, traitée et stockée dans l’ex-Case des hôtes du Musée national de Sandervalia. On ne saura jamais l’étendue des dégâts subits par ce patrimoine culturel qui comptait environ 30 000 volumes.
Fonds documentaires
a – Ouvrages : le fonds se composait en 1975 de 10 collections dénommées ci-après : Fonds Ancien, Fonds Réserve, Fonds Esclavage, Fonds 8° , Fonds 4°, Fonds Brochures, Fonds Nénékhaly Condetto Camara, Fonds Réserve Mémoires, Fonds 4° Mémoires, Fonds Spécial Nations Unies. Deux autres Fonds spéciaux (Fonds ICCRDG/Fonds Devindex-Guinée) viennent s’y ajouter en 1983 à l’avènement de l’ICCRDG. En additionnant les totaux des différents registres d’entrée, on obtenait 54.938 volumes. Mais si l’on retirait de cette quantité les volumes abîmés, les prêts non récupérés, les ouvrages volés ainsi que beaucoup de paperasses enregistrées comme livres, on pourrait estimer la quantité réelle entre 25 et 30 000 volumes.
b-Périodiques : des milliers de périodiques dont voici quelques spécimens :
- Périodiques guinéens
- CEDUST – Bulletin d’informations
- Foniké
- Guinée médicale
- Guinée-Sports
- Horoya
- Périodiques étrangers
- Afrique Etats-Unis
- Afrique et développement
- Agronomie tropicale
- Archives françaises de pédiatrie
- Asie et Afrique d’aujourd’hui
- Beijing informations
- BIT – Bulletin d’informations sociales
- Bulletin de l’OMS
- Bulletin du droit d’auteur
- Dakar médical
- Educafrica
- Photothèque :
Des centaines de photos (noir et blanc) portant pour la plupart sur la vie des administrateurs coloniaux et leurs familles.
Structure
L’institution était structurée en 5 sections : Acquisitions / Catalogage / Périodiques / Communication / Restauration et reliure. L’ensemble était coordonné par une Direction dotée d’un Secrétariat.
Personnel en 1975
- Sidiki Kobélé Keita, professeur / directeur
- Sabin Koné Commis
- Bernard Kemayu, administrateur (refugié politique camerounais)
- Ibrahima Sory Diallo, instituteur
- Thienro Ibrahima Diallo, Commis
- Ibrahima Diawara, administrateur
- Kalil Touré, professeur
- Ismaël Diallo, aide-ouvrier
- Mdme Dabo Binta Bah , Commis
- Mme Kandé Mariam Konaté Commis
- Mme Cissé Damayé Camara, Commis
- Mlle Fatou M’Baye, Commis
- Mamadou Korka Baldé, aide-ouvrier (Section Restauration)
- Lanciné Mansaré, aide-ouvrier (Section Restauration)
- Walaoulou Bilivogui, secrétaire d’administration
NB : Les titres des employés relèvent du cadre de la fonction publique
Direction
Plusieurs cadres africains et guinéens se sont succédés à la tête de la Bibliothèque nationale :
- Mamadou Madeira Keita, Malien (1944-1951)
- Damien Dalméda, Béninois (1951-1960)
- Mme Fanny – Isnard Lalande (Française) (1960 – ?)
- Sidiki Kobélè Keïta ( ? – 1983)
- Sabin Koné (1983 – 1985)
- Lansana Sylla (1985-1986)
- Mme Kaba Marie-Thérèse Ehoulet (1986 – 2000)
- Baba Cheick Sylla (2000 – 2017)
- Mohamed Camara (2017-2019)
- Pépé Koïvogui (depuis 2019)
Mes missions
Durant mes années de travail à la Bibliothèque nationale, j’ai eu à assumer quelques missions :
- Ordre de mission N°131/INRDG/CAB/1976 portant vente de la brochure ‘’Ahmed Sékou Touré, l’homme du 28 septembre 1958’’ et inspection de la bibliothèque de l’IPK ; la mission s’est déroulée du 05 au 24 juin 1976.
- Ordre de mission N° 239/INRDG/CAB/1978 portant réorganisation de la bibliothèque de la Fédération de Conakry II; la mission s’est déroulée du 16 novembre au 06 décembre 1976
- Ordre de mission N°0740/MDEC/RET/1977 portant inspection des bibliothèques et archives régionales de Beyla et de N’zérékoré; la mission s’est déroulée du 12 au 26 avril 1677.
- Ordre de mission (sans référence) portant réorganisation de la bibliothèque de la Faculté de médecine de Donka, Conakry ; la mission s’est déroulée du 20 au 24 avril 1985.
- Note de service N°545/DGC/1987 de la Direction générale de la culture stipulant que « Mr Walaoulou Bilivogui est chargé d’assurer l’intérim de la Bibliothèque nationale pendant l’absence de la titulaire Mme Kaba Maire-Thérèse Ehoulet, bénéficiaire d’une autorisation d’absence pour se rendre à Abidjan au chevet de son père malade » ; l’intérim a duré du 23 décembre 1987 à fin juin 1988.
Mes articles
Pendant que je travaillais à la Bibliothèque nationale et après mon départ, j’ai écrit quelques articles de presse pour traiter des problèmes préoccupants de l’institution :
- Que faire de la Bibliothèque nationale ? (Horoya N°273/15 mars 1986 – Article repris par la revue française ‘’Notre Librairie’’ N°88-89/1987).
- Relever la Bibliothèque nationale (Le Standard N°22/22 juillet 2008).
- La Bibliothèque nationale sous la révolution (L’Indépendant N°1232/09 février 2017)
- Bibliothèque nationale, que de défis à relever ! (Le Démocrate N°850/14 février 2017)
La Bibliothèque nationale en 2021
Une visite à la Bibliothèque nationale permet de recueillir les données de 2021 :
- Tutelle : Ministère de la culture et du patrimoine historique
- Siège : un immeuble à trois niveaux, meublé et équipé, inauguré le 23 avril 2018 – Site : 02 Août / Donka
- Attributions : Arrêté N°2012/694/MSCPH/CAB – l’Arrêté prend à son compte la mission dévolue à toute bibliothèque nationale.
- Structure : la Bibliothèque nationale comprend :
- Direction
- Service administratif et financier
- Département Communication et traitement documentaire
- Département Conservation et restauration
Chacun des deux Départements se subdivise en trois Cellules.
- Personnel : dix employés y compris le DG et le DGA sur un effectif prévisionnel de 45 employés en 2015. Aucun professionnel des bibliothèques dans l’effectif.
- Fonds documentaires :
- Ouvrages : 3 000 volumes
- Périodiques : non quantifiés, la majorité est constituée par le journal Horoya
- Documents audiovisuels : néant
Difficultés majeures
- Acquérir une autonomie administrative et financière
- Former le personnel
- Trouver des mesures de conservation du fonds documentaire (eau de pluie qui suinte, humidité)
Conclusion
A la lecture de ce qui précède, il est aisé de comprendre que la Bibliothèques nationale a toujours été, depuis les premières heures de l’indépendance, le cadet des soucis des autorités politiques et administratives du pays. Parler d’écoles, de bibliothèques, d’archives, de musées ou de recherche scientifique revient pratiquement à prêcher dans le désert. Alors qu’on arrête de nous rebattre les oreilles avec des discours populistes sur le développement de la Guinée !
Walaoulou BILIVOGUI