Un proche d’Alpha Condé écrit aux co-présidents des Assises nationales: «du danger de la culture de l’état geôlier»

(Une tribune de Moussa Cissé, journaliste, ancien Directeur du Bureau de presse de la Présidence de la République)

Humblement à vous, Monseigneur Vincent Coulibaly, Archevêque de Conakry et Elhadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la Grande Mosquée Fayçal de Conakry, co-présidents des présentes Assises nationales, en ma qualité du premier assistant, désigné par le Président Alpha Condé pour vous servir dans votre toute première désignation comme co-présidents de la commission provisoire chargée de la réconciliation nationale en 2011, paix et considération.

Distingués co-présidents, l’histoire de notre jeune nation est perturbée par une série de successions de régimes civils et militaires dont le trait commun est la culture de l’Etat geôlier.

Il semblerait que ce soit la devise de ce peuple et des systèmes judiciaires de ses régimes politiques militaro-civils, de laisser ses plus dignes fils et serviteurs de l’Etat mourir de faim, d’humiliation et de mauvais traitements dans ses geôles ; ou dans le meilleur des cas, de les laisser croupir dans les cellules lugubres jusqu’à ce que le régime suivant vienne en salvateur, libérer les prisonniers de son prédécesseur… pour loger aussitôt ses propres prisonniers. A chaque régime ses prisonniers.

EXPOSÉ en français facile, sous différents régimes, tel ou tel citoyen a été interpelé dans le cadre d’investigations judiciaires, pour raison d’Etat, disait-on. On apprendra par communiqués laconiques officiels, après faits, si ce n’est après changement de régime, que le citoyen en question avait été jugé. Qu’il a été reconnu coupable. Que la sentence avait été prononcée, aussitôt exécutée.

En tout cas, le citoyen ne réapparaitra plus ni en corps, ni en mémoire par une pierre tombale pour le deuil des siens. Jusqu’ici, on ne parle pas de conflits inter-ethniques ou intercommunautaires. On ne parle que de décisions judicaires. Alors, pourquoi parle-t-on aujourd’hui de réconciliations et de pardons intercommunautaires ? Le seul conflit ici, c’est le conflit entre le système judiciaire et le peuple de Guinée. La seule réconciliation en la matière, c’est la réconciliation entre le système judiciaire et le peuple de Guinée.

PRESOMPTION D’INNOCENCE ET CULPABILITE PAR ASSOCIATION
Cependant, il y a un réel conflit de perception, à tort ou à raison, entre la ‘’présomption d’innocence’’ et la ‘’culpabilité par association’’ selon que l’on juge notre système judiciaire, du point de vue de l’ethnie de l’accusé ou celui de l’ethnie de l’homme fort du régime. Les présentes assises sont les conséquences de cette sinistre culture de l’État geôlier.

DU CONFLIT INTERCOMMUNAUTAIRE :
Il n’y a pas de traces de guerres ou de conflits majeurs inter-ethniques ou inter-religieux dans les annales de l’histoire du peuple de ce pays ni avant la colonisation, ni pendant la colonisation, ni sous les trois régimes civils (PDG-RDA, PUP, RPG-AEC) et trois régimes de transitions militaires (CMRN, CNDD et CNRD), qui nécessiteraient une assise nationale de réconciliation d’une telle préoccupation. Certes des conflits intercommunautaires inhérentes à la coexistence, ont éclaté par-ci ou par-là, mais ont aussitôt été réglés sous l’arbre à palabre de la sagesse traditionnelle africaine.

DE LA REPARATION
Vénérés co-présidents et honorables membres des assises nationales, à mon humble avis, la réconciliation devrait passer par la réparation de la crise de confiance entre le système judiciaire et le peuple de Guinée, conséquence de l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire, à des fins politiques, par les tenants du pouvoir des différents régimes.

En conséquence, par devoir et éthique professionnelle, la communauté du système judiciaire de notre pays devrait avoir l’honnêteté intellectuelle et la probité morale de réparer juridiquement les torts causés aux citoyens et au peuple de Guinée en réexaminant, par telle juridiction appropriée, en appel, en cassation ou quel que soit le terme juridique convenable, tous les procès objets des présentes Assises nationales.

Il ne s’agit pas ici de procès devant statuer sur l’innocence ou la culpabilité des accusés. Seulement de se prononcer sur la régularité des procédures en la matière, conformément aux dispositions de la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, dont je présume que la Guinée est membre signataire.

Pratiquement, les responsabilités pénales individuelles et collectives des membres des différentes juridictions seraient difficiles à établir. Cependant, la responsabilité civile de l’Etat guinéen est indéniable. Par conséquent, comme toute nation civilisée, l’Etat guinéen devra faire face à ses obligations en reconnaissant les torts causés par ses agents en service commandé, restituer les biens spoliés, verser des dommages et intérêts aux ayant droits des victimes, en réparation de sang et autres préjudices moraux.

En outre, réhabiliter la mémoire de toutes les victimes par des mesures utiles et appropriées. Car, s’il se trouvait un seul innocent parmi les milliers mis en cause, cela vaudra la peine. Puisqu’on dit qu’il vaut mieux relâcher dix coupables que de condamner un innocent.

DE LA HAUTE DESTINEE DES ASSISES
Distingués co-présidents, les présentes Assises nationales de vérité, de réconciliation et de paix qui se tiennent dans un climat de répression sous le couvert des infractions économiques, n’est pas rassurant. Car par principe, REPRESSION est synonyme de TERREUR quelle que soit la noblesse de la cause. Ce qui rappelle des expériences douloureuses, pour des raisons similaires, d’une certaine ‘’vérification de biens’’ des années 60. En règle générale, en matière d’infraction économique, un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Car mieux vaut renflouer les caisses de l’Etat que de remplir ses prisons.
Cependant, au moment où cette assemblée s’efforce désespérément de tourner les pages noires de ces sinistres geôles, on assiste à l’ouverture de nouvelles pages noires de notre justice dont des dignitaires de l’ancien régime, à leurs têtes, l’Ex-Premier ministre Kassory Fofana, des membres de son gouvernement et hauts dignitaires du régime défunt sont les cibles de choix et premiers pensionnaires des geôles du ci-devant régime.

Et la liste d’attente devant les geôles est longue. Plus alarmant, des rumeurs inquiétantes, de la dégradation de l’état de santé de certains dignitaires en détention comme le Docteur Mohamed Diane, ex ministre des Affaires présidentielles, ex-ministre de la Défense, et le docteur Louceny Nabé ex-Gouverneur de la Banque centrale et autres compagnons d’infortune, remplissent les réseaux sociaux. Allons-nous mettre fin à cette culture de l’État geôlier une fois pour toutes, ou devons-nous espérer que le prochain gouvernement revienne sur les présentes assises pour une solution définitive ? Car, comme dit un adage Mossi du Burkina Faso, « lorsque le crapaud fait un premier bond, et atterrit dans le feu, il va de soi qu’il a un second bond à faire ».

DE L’INDEPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE
Vénérés co-présidents et distingués membres des présentes Assises nationales, à mon humble avis, la véritable réconciliation est de rétablir la confiance entre le peuple de Guinée et son système judiciaire. Car, lors de l’éveil des consciences de ce peuple, pour la démocratie et l’Etat de droit, presque toutes les composantes des forces vives du pays ont mené des combats pour les libertés fondamentales. Ainsi, les politiciens pour le multipartisme, les journalistes pour la liberté de presse, les travailleurs pour la liberté syndicale et les activistes pour la liberté d’association… et la DEMOCRATIE a été acquise.

Mais du combat du corps des magistrats, à part l’augmentation généreuse des salaires, point de traces. Alors, ‘’L’ÉTAT DE DROIT’’ n’est toujours pas acquise. Puisque seule l’indépendance de la branche judiciaire peut concrétiser la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judicaire, et garantir l’Etat de droit, maillon faible de tous nos régimes.

D’ici là, à confondre la notion de ‘’Procureur de la République’’ et ‘’Procureur du Président de la République’’ il n’y a qu’un lapsus. Nul doute que la première et la plus grande victime de nos régimes politiques est bel et bien l’instrumentalisation du système judiciaire. Une fois l’indépendance judiciaire acquise, le peuple de Guinée et son système judiciaire pourront faire sienne la devise du cri de cœur des enfants des victimes : « Plus jamais ça en Guinée ».

En conclusion, vénérés co-présidents des présentes Assises nationales, vous êtes deux sommités des principales religions de ce pays. Je crois en la justice divine tout comme vous. Or le mauvais jugement attire le jugement du ciel. Monsieur Mason de la Virginie, (USA) disait : « comme les nations ne peuvent ni être récompensées, ni être punies à l’au-delà, elles doivent l’être ici-bas. Grâce à une succession inéluctable de causes et d’effets, la providence punit les péchés nationaux par des calamités nationales. »

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MOUSSA CISSE, JOURNALISTE
ANCIEN DIRECTEUR DU BUREAU DE PRESSE (PRG)

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