ZMAO, Monnaie commune Ouest africaine : Utopie ou réalité (Par Abdoulaye GUIRASSY, économiste)

La Guinée a abrité du 09 au 13 septembre 2024 les Réunions Statutaires de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO). Cet événement a réuni les décideurs de politique économique des pays de la sous-région non-membres de l’UEMOA, à savoir la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone.

Cette rencontre de haut niveau avait pour objectifs d’examiner les questions en lien avec la convergence macro-économique des pays membres, l’intégration commerciale, la coopération monétaire, la stabilité des secteurs financiers, les systèmes de paiement et le taux de change.

Force est de constater que les réunions sous-régionales dans le cadre de la ZMAO se suivent et se succèdent, mais l’horizon de la mise en place d’une véritable intégration monétaire s’éloigne de jour en jour, en raison de l’instabilité du cadre macro-économique des pays membres et du non-respect des critères de convergence, condition sine qua non d’un projet d’une telle envergure.

Les économies de la ZMAO ont enregistré des progrès mitigés ces dernières années avec une croissance moyenne du PIB réel de 1,7% entre 2015-2019, contre 7,2% entre 2010 et 2013, et 6,0% au cours de la période 2005-2009. Toutefois, outre le fait qu’il s’agit essentiellement de pays à faible revenu, ces économies présentent d’autres caractéristiques qui les rendent très vulnérables aux chocs extérieurs. Les caractéristiques inhérentes à ces pays comprennent la concentration des exportations sur quelques produits de base, la dépendance à l’égard des importations stratégiques, la dépendance vis à vis des sources de financement étrangères et la prévalence de l’instabilité civile et politique, entre autres. Ces caractéristiques pèsent considérablement sur le progrès économique des pays pris individuellement et de la Zone dans son ensemble.

La mondialisation, nous le savons, est une forme d’intégration des économies à l’échelle mondiale. Elle commande aux pays en développement de former des grands ensembles pour pouvoir exister économiquement et amoindrir les effets des chocs asymétriques. En effet, au sein d’une intégration, les pays se taillent une place de choix par leurs influences économiques. La régionalisation économique se présente alors comme une alternative imparable pour les états de l’Afrique de l’Ouest à régime de change flexible ou flottant comme la Guinée, d’où la perspective de mise en place de la ZMAO.

Pour rappel, la ZMAO s’est fixée pour objectif primordial d’établir une monnaie unique dénommée ECO, établie sur la base d’un taux de change fixe et irrévocable entre les différentes monnaies, à savoir : le Franc guinéen, le Dalassi gambien, le Cédi ghanéen, le Leone sierra léonais et le Naira nigérian. L’objectif final sera la fusion de l’ECO et du Franc CFA, permettant ainsi à l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest de disposer d’une zone monétaire unique et stable pour notre sous-région.

Pour parvenir à ces objectifs, la ZMAO s’est fixée des critères de convergence suivants :

  • Un déficit budgétaire de moins de 5% du PNB ;
  • Un taux d’inflation inférieur à 5% ;
  • Un déficit budgétaire à moins de 10% des recettes fiscales des années antérieures ;
  • Les réserves de la Banque centrale doivent couvrir trois mois d’importations.

À l’origine, les dirigeants des pays de la ZMAO avaient envisagé la mise en application de l’ECO (monnaie commune) avant juillet 2005, mais au regard des faibles performances économiques et monétaires dans l’atteinte des critères de convergence, il a été décidé de façon unanime par les chefs d’État lors de leur sommet de Conakry en mai 2005 de reporter le lancement de l’ECO pour 2009, tout en dénonçant le faible niveau d’engagement politique et le manque d’intégration des cibles de convergence aux programmes économiques nationaux. Ces facteurs sont rédhibitoires à l’établissement de l’union monétaire ouest-africaine.

À titre d’illustration, pour l’année 2023, les variables macroéconomiques de la Guinée, de la Sierra Leone et celles de la Gambie sont les suivantes :

Guinée

  • Déficit budgétaire: 1,6 % du PIB
  • Inflation: 7,8 %
  • Réserves de change: 2,5 mois d’importation

Sierra Leone

  • Déficit budgétaire: 5,8 % du PIB
  • Inflation: 46 %
  • Réserves de change: 3 mois d’importation

Gambie

  • Déficit budgétaire: 3 % du PIB
  • Inflation: 5,3 %
  • Réserves de change: 4,9 mois d’importation.

Il ressort de ces statistiques que les pays de la ZMAO ont des performances économiques assez mitigées et un processus de convergence boiteux. L’évolution récente des prix des produits de base, les chocs extérieurs provenant des marchés mondiaux continuent d’avoir un impact sur la performance économique des États membres en raison de leur dépendance à l’égard de l’exportation de produits de base, tels que les matières premières agricoles et d’autres ressources naturelles. Par exemple, les prix des produits de base ont été instables au cours des dernières années, ce qui a influencé les variations de l’offre par rapport à une demande modérée. En fait, les incertitudes macroéconomiques mondiales croissantes ont entraîné une volatilité des prix des matières premières. Le marché mondial a connu une chute des cours du pétrole brut, de l’or et du diamant, qui comptent parmi les principaux produits exportés par les pays de la ZMAO. Entre 2013 et 2019, le pétrole brut, qui est la principale exportation du Nigéria, a connu une chute de 4,1 % du niveau des prix ; l’or, principal produit d’exportation du Ghana, du Libéria et de la Guinée, a enregistré une baisse de prix de 3,4 % ; tandis que le cours du caoutchouc et du minerai de fer, qui constituent les principales exportations du Libéria et de la Sierra Leone, a baissé de 8,1 % et de 0,8 % au cours de la période 2013-2019. Dans le même ordre d’idée, les prix de l’arachide et des grumes, également des exportations majeures de la Gambie, ont chuté de 1,8 % et 3,5 %. La chute pendant les chocs des cours des matières premières (2014-2016) a été très marquée pour la plupart des exportations de la Zone : pétrole brut (-23,5 %), minerai de fer (-21,9 %), caoutchouc (-15,0 %), arachide (-15,4 %), et or (-3,7 %). Ces chocs de prix ont eu un impact négatif sur les États membres de la ZMAO, ce qui a conduit à la déstabilisation des recettes en devises, à l’effondrement des réserves de change et à l’affaiblissement des performances budgétaires de certains pays membres de la Zone.

Pour conférer alors une certaine efficacité dans l’atteinte de ses objectifs, la ZMAO s’est dotée d’un organe de gestion dénommé Institut Monétaire Ouest Africain (IMAO), qui a pour tâche essentielle d’installer la future Banque Centrale supranationale des pays membres.

Toutefois, la littérature économique nous rappelle que l’union économique et monétaire est la phase aboutie de toutes formes d’intégration, après bien entendu les étapes de la zone d’échanges préférentiels, la zone de libre-échange, de l’union douanière et du marché commun. De ce point de vue, il est impératif pour les pays membres de suivre rigoureusement l’itinéraire classique menant à l’union économique et monétaire.

À l’issue de ce rappel sur l’historique de la ZMAO, il est légitime de questionner la volonté politique des pays au regard du gigantisme et du caractère titanesque de ce projet intégrateur qui exige des engagements sans équivoques à abdiquer une part significative de la souveraineté économique des états membres. De façon générale, des états qui renoncent à leur souveraineté monétaire en s’engageant dans la construction d’une zone monétaire comme celle de la ZMAO, devraient renoncer à utiliser le taux de change comme instrument de stabilisation macroéconomique.

L’évaluation des coûts et avantages d’une union monétaire est souvent au centre des débats entre économistes. Il n’en demeure pas moins que les gains potentiels peuvent se dégager, notamment : l’économie de ressources par la gestion commune des réserves extérieures, la réduction des incertitudes et des coûts de transactions, la réduction des mouvements spéculatifs de capitaux. Quant aux coûts de l’union monétaire, ils proviennent essentiellement de l’abandon de la politique monétaire et du taux de change. L’union peut également exacerber des déséquilibres entre pays ou entre régions.

À l’analyse du cheminement quelque peu dénué de proactivité et de volontarisme dans la mise en œuvre de la ZMAO depuis des décennies, il me paraît pertinent de jeter un regard lucide sur le caractère optimal de la future Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest.

L’économiste canadien Robert Mundell, qui détient la paternité de la théorie des zones monétaires, nous enseigne que l’efficacité d’une zone monétaire exige la mobilité des facteurs de production et une forte flexibilité des prix et des salaires qui se substitue à la flexibilité du taux de change comme moyen d’ajustement. Or, il est évident qu’au sein des pays membres de la ZMAO, il existe un faible niveau de mobilité des facteurs de production. Il va sans dire que les chocs asymétriques peuvent aggraver les déséquilibres inter-Etats. Ces déséquilibres peuvent avoir des formes variées d’un pays à un autre (déficit commercial, récession économique dans certains pays, et excédent commercial, expansion, tensions inflationnistes dans d’autres).

Ainsi, le cadrage ou la coordination des politiques économiques de ces pays peut apporter des correctifs à ces déséquilibres, à travers le mouvement des taux de change, la flexibilité des prix et des salaires, ainsi que la mobilité des facteurs de production.

De ce qui précède, nous pouvons affirmer qu’à date, les conditions d’optimalité de la ZMAO sont loin d’être réunies eu égard à la faiblesse de la mobilité des facteurs de production, du manque de flexibilité des prix et des salaires, et du chemin à rebours emprunté dans ce processus d’intégration. Ce point de vue quelque peu pessimiste n’altère en rien les avantages inhérents d’une régionalisation économique et monétaire de notre sous-région ouest-africaine. La concrétisation de la ZMAO requiert alors une volonté implacable des dirigeants politiques et des décideurs de politique économique des pays membres dans l’atteinte des critères de convergence et dans la conduite des réformes institutionnelles y afférentes.

Abdoulaye GUIRASSY, économiste et politologue

Président du Cercle de Réflexion et d’Analyse de la conjoncture Economique (CRACE)

Membre correspondant de l’Académie des Sciences de Guinée

Mail : guirassy_abdoulaye@yahoo.fr / Tel : +224 610 05 55 55

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