Quelles sont les années de gloire du cinéma guinéen ? Le septième art se porte-t-il bien actuellement dans le pays de Kémoko Diakité ? La nouvelle génération d’acteurs du cinéma sera-t-elle à la hauteur pour perpétuer le génie guinéen révélé avant même l’indépendance ? Mouloukou Souleymane Cissé, alias Cissé Papus, cinéaste, nous a ouvert son cœur cette semaine pour parler de ce secteur qui est son métier. Lui qui est actuellement sur un plateau de tournage d’un film intitulé Faux débat, nous parle des difficultés et de son espoir de voir le cinéma guinéen à l’ère de la modernité, s’épanouir pour reprendre sa place d’antan.
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Cinéaste, comment voyez-vous le cinéma guinéen actuellement ?
Actuellement le cinéma guinéen est en pleine évolution, ça bouge sur tous les plateaux et surtout la qualité s’invite. On commence à faire des choses de plus en plus consommables ici comme à l’extérieur, ça marche un peu.
Ce que vous venez de dire, porte sur la qualité. Quand est-il du soutien à ce septième art ?
En ce qui concerne le soutien, je dirais qu’il est nul. Aujourdhui il n’y a presque pas de soutien. On est en train de se battre avec les moyens de bord.
Est-ce que le cinéma guinéen a brillé dans le passé ?
C’est vrai que le constat est très amère, compte tenu de l’âge de notre cinéma. La Guinée fait partie des pionnières du cinéma africain. Après l’Afrique du sud en 1910, la Tunisie en 1924, l’Egypte en 1928, le Madagascar 1937 et le Congo en 1950, la Guinée vient en sixième place avec un film intitulé « Mouramani’’ de Mamoudou Touré, avant l’indépendance, sous l’administration coloniale. Après ont suivi des films comme « Naitou » de doyen Kemoko Moussa Diakité et le doyen Oumar Barry avec « Et vint la liberté », le tout premier long métrage africain. Je réponds par affirmatif, la Guinée a effectivement eu ses heures de gloire.
Que faut-il pour redonner sa place au cinéma guinéen ?
Le nerf de la guerre c’est l’argent. Pour se hisser au sommet, il faut impérativement qu’il y ait de l’argent. Donc l’Etat doit à mon avis revoir le budget du ministère de la Culture qui est notre ministère de tutelle mais aussi trouver un système de financement adéquat pour le cinéma guinéen.
Deuxièmement, l’Etat doit favoriser la promotion des cadres et techniciens du métier de cinéma comme c’était le cas jadis sous la révolution. Mais c’est un peu plus d’actualité aujourd’hui compte tenu de la transformation numérique. Et en plus l’Etat doit encourager le secteur privé à y participer. Restaurer d’abord les anciennes salles de cinéma ou construire des nouvelles salles avec de nouvelles normes, pour faire de recettes surtout. Ce qui aura un impact positif surtout sur l’éducation des enfants qui sortiront à coup sûr des ghettos et des maquis.
Peut-on compter sur la nouvelle génération ?
Oui, je dirais même plusieurs fois oui, car moi-même je suis issu de la nouvelle génération du cinéma. Il est vrai qu’il faut vivre de son métier, mais la situation actuelle nécessite des sacrifices. Le nôtre consiste à privilégier le résultat pour redorer le blason du cinéma guinéen. C’est le leitmotiv de la nouvelle génération.
Etes-vous présentement sur un projet de film ?
Je suis effectivement sur un plateau de Laguiplus sous la direction de Bobo Hérico, qui n’est plus à présenter.
Ce film, pour quel message ?
Le film s’intitule « Faut débat ». C’est un film qui parle de façon générale des phénomènes de société, en particulier la fameuse barrière destructive que certains d’entre nous essayent d’ériger par ci et par là, je veux parler de l’ethnocentrisme. Le film rend ce débat inutile d’où le nom du « faux débat ». Comme cerise sur le gâteau, on a fait en sorte de mettre un peu de drame et d’amour…pour pimenter un peu les chaînes. Autour du film, vous avez des techniciens et des acteurs issus de toutes les ethnies de la Guinée : des malinkés, des peuls, des Kissiens, des Guèrzés, Diakankés…pour prouver que la Guinée est une famille. Ce n’est pas un vain mot, c’est une réalité et le cinéma est dans son rôle d’éducateur. Le cinéma en principe est un moyen d’éducation, contrairement à ce que des gens pensent.
Le cinéma est un secteur pourvoyeur d’emplois parce que sur un plateau vous pouvez avoir des chauffeurs, des électriciens, des menuisiers, des musiciens, des médecins, des peintres… ça veut dire que le cinéma peut engloutir tout créer pas mal d’emplois.
A part les emplois que le cinéma peut offrir, il peut faire la promotion de notre culture. Et qui parle de culture parle. On a besoin de ramener les enfants dans les salles de cinéma comme nous on l’a connu à l’enfance. On y partait souvent avec nos pères, on nous envoyait tous les dimanches. Si on n’arrive plus à récupérer les anciennes salles de cinéma qui étaient là au temps de l’ancien régime, au temps de la révolution, on peut en créer d’autres. Aujourd’hui Canal Olympia en est une meilleure illustration, c’est une salle de cinéma, dès que vous entrez dedans, vous avez envie de revenir. Et ça ne demande pas des milliards, on peut au moins construire une salle de cinéma par préfecture.
Je pense que l’Etat pour un début a le devoir d’assister un peu ce secteur qui est vraiment pauvre. C’est vrai qu’aujourd’hui il y en a qui mettent leurs argents dans le cinéma. Je connais quelqu’un qui a fait un film avec moi, qui a vendu son fonds de commerce pour faire ce film. C’est vraiment difficile à croire mais c’est de la réalité, j’ai vécu ça. C’est pour vous dire qu’il y a des gens qui font du sacrifice pour que vive le secteur du cinéma guinéen.
Je suis de ceux-là qui pensent qu’on peut. Si les doyens ont hissé le drapeau très haut, on a toutes les chances de faire comme eux, pour ne pas dire qu’on va les dépasser. Parce qu’il y a plus d’engagement, plus d’acteurs, plus de mouvements dans l’arène du cinéma en Guinée.
Interview transcrite par Mamadou Macka Diallo