Pour la dissolution du cadre de dialogue inclusif (Par Ibrahima Sanoh)

En instituant par décret un cadre de dialogue inclusif, le Président de la transition accédait à une demande de certaines entités des forces vives qui ne se reconnaissaient pas dans le cadre de concertation alors en vigueur. Aussi, il démontrait qu’il était capable de concessions  et qu’il n’avait pas d’agenda caché sur la transition.

Le cadre de dialogue sitôt mis en place avait été récusé, certaines entités des forces vives ont  mis en cause l’absence de consultations préalables à  son institution ; plus tard, elles ont plaint le mode de désignation des facilitatrices nationales.  Intrinsèquement, elles n’ont pas   évoqué leur absence d’indépendance, même si elles l’ont insinué ; elles n’ont pas mis en cause  leurs expertises  et leurs moralités. 

Le cadre de dialogue qui devrait permettre que les  forces et le CNRD ,  au-delà le gouvernement ,échangent et harmonisent leurs vues sur le chronogramme de la transition, dans une certaine acception sa durée,  n’a pas  porté les fruits de ses espérances.   

Pourtant, il aurait dû permettre  que ,  par le débat et les échanges,  les différentes parties prenantes au dialogue arrivent à un consensus non pas velléitaire  et abscons  sur le chronogramme de la transition. Un consensus vrai et fort.   Il aurait pu permettre que les arbitrages nécessaires sont faits entre le nécessaire et l’acceptable, le souhaitable et le possible, l’urgent et l’important, le symbolique et l’efficace.  

L’inefficacité du cadre de dialogue  inclusif 

La matière sur laquelle  le dialogue devait porter ne souffrait  d’aucune ambiguïté. Le dialogue ne  devrait pas  traiter  des questions politiques, des questions sociales ou économiques. Le dialogue inclusif devait traiter   des questions relatives à la transition.  Il visait  à encourager les échanges constructifs entre les acteurs des forces vives de la nation et le CNRD et le gouvernement sur la transition.

Il ambitionnait  à ce que les parties prenantes  s’entendent sur les mesures de confiance   durant la transition   tout en respectant les lois et les règles qui régissent notre pays et le respect de la séparation des pouvoirs.  Il  poursuivait  le dessein d’établir un mécanisme de mise en œuvre des accords trouvés  à l’issue du dialogue.

 Il est à rappeler que le gouvernement  guinéen   a demandé à la commission de la  CEDEAO une mission technique afin de travailler conjointement avec les experts du pays pour  développer un chronogramme de  transition acceptable par la CEDEAO et aussi d’assurer le retour  à l’ordre constitutionnel en Guinée.  

Cette mission technique de la CEDEAO a  été déployée en Guinée  du 16 au 21 octobre 2021.  Aux termes de travaux, les experts de la CEDEAO et de la Guinée ont conjointement   développé un chronogramme  consolidé de la transition étalé en 24  mois et couvrant 10 points, ceux-là même toujours retenu par le CNRD et dont certaines activités sont  récusées par certaines entités politiques et acteurs de la société civile. 

Le chronogramme adopté sera présenté par le médiateur de la CEDEAO pour la Guinée  à la prochaine conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement pour son approbation en vue de déclencher sa mise en œuvre. 

Si les autorités de la transition, le CNRD et le gouvernement, décident encore de soumettre le même chronogramme toujours récusé au débat en Guinée, c’est qu’elles voudraient soit se soustraire de l’accord conclu avec la  mission de la CEDEAO en attente de validation, soit qu’elles voudraient  faire de la durée et du chronogramme de la transition une question exclusivement nationale. Pourtant à l’interne , malgré les concessions faites par le Président de la transition, le cadre de dialogue n’a jamais permis d’aboutir à la moindre résolution nationale.  Il n’a jamais commencé ses activités. 

Il ne serait pas inutile d’interroger l’efficacité du cadre de dialogue actuel dans la mesure où la durée et le chronogramme de la transition ont fait l’objet d’accord avec la CEDEAO , organe social dont les règles ont été violées par le coup d’Etat du 5 septembre 2021  et ayant brandi certaines sanctions en vue de faire respecter ses règles et principes.

Le cadre de dialogue inclusif au cas où il serait maintenu servira à quoi ? A faire adopter une durée de la  transition ? A décider d’un chronogramme de la transition ?  A engager les parties prenantes nationales dans l’application d’un chronogramme qu’elles n’agréent pas et  à l’élaboration duquel elles n’ont pas été conviées ? 

Si la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement agréaient la durée et le chronogramme de la  transition que le médiateur de la CEDEAO pour la Guinée leur soumettra ,  le même médiateur travaillera pour engager toutes les  parties  prenantes de la Guinée  afin d’assurer une mise en œuvre inclusive  du chronogramme de la transition.  

C’est ce que dit la dernière disposition de l’accord conclu le 21 octobre à Conakry entre la commission de la CEDEAO et le gouvernement guinéen. Le cadre de dialogue inclusif n’a donc plus raison d’exister. Avec lui, le dialogue inclusif ne démarrera jamais. Quand bien même il se tiendrait, ses résolutions n’auraient pas de chances à être appliquées si elles différaient des termes de l’accord conclu avec la mission de la CEDEAO et en attente d’approbation. 

Ce qui doit être fait par les autorités de la transition en attendant l’approbation de l’accord de 21 octobres par la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO

Certains partis politiques et acteurs de la société civile avaient dit ne pas se reconnaître dans le format de dialogue inclusif institué,  les mêmes avaient  rejeté les  dix points du chronogramme ayant été conjointement validé par les experts de la CEDEAO et de la Guinée,   on ne devrait pas s’attendre à ce qu’ils veulent au dialogue  qu’on voudrait inclusif. Si certaines coalitions politiques reçoivent le Premier Ministre, ce sera  plus pour lui réitérer  leurs positions déjà exprimées que pour autre chose.    

Le Président de la transition  qui a refusé de fixer tout seul la durée de la transition et qui a fait de nombreuses concessions en vue de son démarrage  a été contraint pour prouver sa bonne foi et sa volonté à assurer le retour à l’ordre constitutionnel  à  nouer  un accord avec la mission de la CEDEAO.  Cela est aussi l’affirmation d’un constat indéniable selon lequel  les parties prenantes guinéennes ont été incapables de s’accorder sur une durée et un chronogramme consensuels de la transition que les autorités auraient pu proposer à la CEDEAO.

Alors , le cadre de dialogue inclusif tel que conçu ne peut plus rien faire , à moins qu’on lui assigne la mission  de résoudre une question  déjà traitée .  Ce qui amènerait à se poser la question quant à  l’idée que nous nous faisons de la notion de temps , si à chaque fois on doit resoumettre aux échanges et débats les questions dont les contenus ont été vidés.

Pourtant , le  médiateur de la CEDEAO prendra toutes les dispositions nécessaires pour engager les parties prenantes  de la Guinée afin d’assurer une mise en œuvre  inclusive  du chronogramme de la transition. Il faudra lui laisser cette mission, il a plus de chance de la réussir que quiconque dans un contexte de méfiance et de soupçons généralisés. 

 Les autorités de la transition en attendant l’approbation de l’accord du 21 octobre par la conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO doivent poser certaines actions en vue de faciliter l’application de bonne  foi  et inclusive du chronogramme de la transition.  Quand bien même les autorités seraient de bonne foi , elles  éprouveraient de nombreuses de difficultés à mettre en œuvre un chronogramme dans lequel  toutes les parties prenantes ne se reconnaissent pas et contre lequel certaines d’elles se dressent depuis quelques temps.

L’application inclusive du chronogramme de la transition ne requiert pas un gouvernement d’union nationale, pas non plus  la renonciation aux réformes révolutionnaires visant la  lutte contre l’impunité et la corruption, mais la quête de l’apaisement politique et social.  Les autorités de la transition doivent convier la justice à tenir dans des délais raisonnables deux procès importants : celui des personnes inculpées par des faits de corruption et de celles qui ont organisé des manifestations interdites.  

Ces procès doivent être équitables. En attendant leurs tenues, on pourrait aménager les conditions de détention de certaines personnes en prison depuis de longs mois : contrôle judiciaire stricte  ou assignation à résidence surveillée. A mesure que l’on reporte la tenue de ces procès une inquiétude agacée s’empare de l’opinion  et  aussi le sentiment que l’on voudrait profiter de  la lutte contre la corruption pourtant noble et salutaire  pour régler des comptes politiques. 

Si un tel sentiment bien que injustifié prospère, on aura malheureusement galvaudé la lutte contre la corruption. Si nous voulons une union sacrée autour de l’application du chronogramme de la transition, il faudrait faire converger les intérêts conflictuels sur certaines questions judiciaires sans trahir le principe de  la séparation des pouvoirs. 

Ibrahima SANOH 

Citoyen guinéen. 

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