ILLÉGALITÉ DE LA « DÉCISION D/2024/031/CNSP/DG PORTANT LA MISE EN PLACE D’UNE CELLULE À KAMSAR CHARGÉE DU CONTRÔLE DES ACTIVITÉS ILLICITES DE PÊCHE INN DE SUIVI DES DÉBARQUEMENTS DES TRANSBORDEMENTS ET EMPOTAGES »
À la date du 7 octobre 2024, le Directeur général du Centre national de Surveillance et de Police des Pêches a pris la « Décision D/2024/ 031/CNSP/DG portant la mise en place d’une Cellule à Kamsar chargée du contrôle des activités illicite de pêche INN de suivi des débarquements des transbordements et empotages ».
Le présent texte n’intègre pas des considérations se rapportant à l’orthographe, à la syntaxe, à la structure de l’intitulé, à la référence de la décision et au contenu du visa. Il présentera les raisons qui déterminent le défaut de validité de la décision précitée au regard notamment des compétences de l’autorité de tutelle technique, du Conseil d’administration du CNSP (I) et à l’aune des compétences partagées entre le CNSP et les autres directions générales ; compétences que la décision perçoit comme exclusives au CNSP (II).
I. DÉFAUT DE VALIDITÉ DE LA DÉCISION DU DG DU CNSP AU REGARD DE L’INOBSERVATION DES COMPÉTENCE DU CA ET DE L’AUORITÉ DE TUTELLE TECHNIQUE
En droit guinéen, les textes désignent de manière explicite, les autorités administratives investies du pouvoir réglementaire, en prenant en compte l’article 9 du Code civil guinéen établissant la hiérarchie des normes. C’est, en effet, le cas du Président de la Transition qui « dispose du pouvoir réglementaire » (Charte de la Transition, art. 38) ; du ministre qui est « investi du pouvoir réglementaire ». (L/2018/025 du 3 juillet 2018 portant organisation générale de l’Administration publique (art. 19) ; des autorités exécutives locales (Code des collectivités locales, art. 149) et de certaines autorités déconcentrées notamment le préfet.
Pour ce qui concerne des considérations générales se rapportant aux organes des établissements publics administratifs, au titre de l’article 16 de la loi 0056 modifiant certaines dispositions de la Loi du 30 décembre 2016, portant Gouvernance financière des sociétés et établissements publics en République de Guinée, 08 décembre 2017, « Les organismes publics sont dotés d’un Conseil d’administration qui détermine les orientations et veille à leur mise en œuvre. Il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de l’organisme et règle par ses délibérations les affaires qui la concerne ». L’article 18 de la Loi 0056/AN fixe la liste d’un ensemble de « décisions que le Conseil d’administration approuve ». En vertu de l’article 28 de la même loi 056, « Le Directeur général assure la mise en œuvre concrète des orientations définies par le Conseil d’administration. Il assure la bonne marche de l’organisme dans le cadre des statuts de celui-ci ». Ces dispositions confèrent davantage au Conseil d’administration qu’au directeur général une marge de manœuvre importante dans la détermination des modalités du bon fonctionnement de l’organisme public.
Plus spécifiquement, suivant l’article 38 du décret D/0386 du 18 août 2022 relatif au Centre national de Surveillance et de Police des pêches, « Sous réserve des pouvoirs de l’autorité de tutelle, le Conseil d’Administration du CNSP prend toutes décisions concernant les objectifs, l’organisation, la gestion et le fonctionnement du CNSP. Le Conseil d’administration délibère notamment dans les matières suivantes : les conditions générales d’organisation et de fonctionnement du CNSP (…) ; l’affectation des moyens matériels, humains et financiers ; le plan d’action annuel ou pluriannuel du CNSP ». Il résulte de cette disposition que la validité des mesures que le Directeur général peut prendre dépend du respect des compétences dévolues au Conseil d’Administration.
Or, le Directeur général du CNSP a pris une « Décision D/2024/ 031/CNSP/DG portant la mise en place d’une Cellule à Kamsar chargée du contrôle des activités illicite de pêche INN de suivi des débarquements des transbordements et empotages ». En vertu de l’article 1er de cette décision, « Il est mis en place au niveau de la base de Surveillance de Kamsar, une Cellule de contrôle des activités de pêche illicite non déclarée et non réglementée (INDNR) de suivi des débarquements, empotages des transbordements, des unités de transformation, des conservations et des transports de produit de pêche ». Cela va sans dire qu’une telle décision n’a pas seulement une incidence financière (puisqu’il faudra rémunérer les membres de la cellule), elle a également une incidence sur le régime de l’affectation des ressources humaines ; la cellule ayant vocation à être composée d’agents. Une question essentielle – aux fins de la détermination de la validité de cette décision – est ainsi celle de savoir si le Conseil d’administration a délibéré sur la question de la création de la Cellule. La réponse à cette question est négative.
On peut relever – à titre de rappel – qu’en vertu du Décret D/0386 du 18 août 2022, portant attributions, organisation et fonctionnement du CNSP, « Le CNSP est doté de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative et financière ». De même, « Le Directeur général dirige, anime, coordonne et contrôle l’ensemble des activités du CNSP ». La direction générale « est l’organe d’exécution des décisions du Conseil d’administration du CNSP. Elle est chargée de la gestion du quotidien du CNSP ». (Décret D/0386).
Si le Directeur général d’un EPA tire des lois et règlements une autonomie importante dans l’exercice des fonctions qui lui sont dévolues, celle-ci n’est pas illimitée. La marge de manœuvre qu’un Directeur général tire de l’autonomie administrative et financière d’un Etablissement public ne saurait ainsi être interprétée comme lui octroyant le pouvoir de s’émanciper des limites imposées à ses pouvoirs par les lois et règlements. L’article 38 du décret D/0386 du 18 août 2022 sur le CNSP dispose, en ce sens, que « Le Directeur général exerce sa mission dans les limites des attributions et sous réserve de celles expressément attribuées au Conseil d’administration ». Le Directeur général ne peut, conséquemment, sans violer la loi, se substituer au Conseil d’administration et décider en lieu et place de celui-ci. L’acte pris par un organe autre que celui qui en est investi du pouvoir de le prendre est illégal.
En outre, l’autonomie d’un EPA ne saurait conférer à un Directeur général, le droit de se surpasser illégalement de sa tutelle technique, dans les conditions définies par les lois et règlements. Cette autonomie ne saurait également, d’une part être de nature à justifier la réglementation par un Conseil d’administration, de questions relevant de la compétence de l’autorité de tutelle technique, ni être interprétée comme soustrayant au ministre de tutelle tout moyen d’action sur l’Etablissement public et son Conseil d’administration. Sur ces aspects, au titre de l’article 44.1 de la L/2018/025 du 3 juillet 2018 portant organisation générale de l’Administration publique « L’organisme public transmet à ses ministres de tutelle les documents qui seront examinés au Conseil d’administration au moins deux semaines avant le terme de ce dernier ». De même, en vertu de l’article 59 Décret D/0386 du 18 août 2022 sur le CNSP, « Toutes les autres délibérations du Conseil d’administration sont exécutoires de plein droit sauf opposition de l’autorité de tutelle. La tutelle peut y faire opposition seulement dans les cas suivants : si la décision compromet l’exécution de la mission confiée au CNSP ; si la décision est contraire aux orientations de la politique générale du Gouvernement ; si la décision compromet l’équilibre financier du CNSP ; si la décision est contraire à la réglementation du CNSP ; (Décret D/0386 du 18 août 2022 sur le CNSP, art. 38).
L’opposition de l’autorité de tutelle emporte deux conséquences essentielles. Premièrement, l’opposition suspend l’application de la décision. Le Conseil d’Administration doit alors délibérer de nouveau. Si la décision fait à nouveau l’objet d’une opposition, elle est soumise alors au Conseil des ministres. Deuxièmement, l’autorité de tutelle qui s’oppose est tenue de notifier au Conseil d’administration « les raisons de l’opposition et proposer une solution de remplacement ». Au titre de l’article 60 de ce décret, l’autorité de tutelle peut en outre annuler par un acte toute décision contraire aux lois et règlement en vigueur ». (Décret D/0386 du 18 août 2022 sur le CNSP). Cette même autorité de tutelle est investie du pouvoir d’entraîner la fin du conseil d’administration ; sans bien-sûr être un pouvoir illimité. En effet, au titre de l’article 31 du Décret D/0386, « Le Conseil d’administration peut être dissout par décret pris sur proposition du ministre de tutelle technique, pour irrégularités ou manquements graves mettant en cause le fonctionnement du CNSP ».
Il en résulte que, si le Directeur général ou même le Conseil d’administration d’un EPA dispose d’une large marge de manœuvre qu’il tire de l’autonomie administrative et financière inhérente à celui-ci (EPA), cette marge ne peut ni ne saurait s’interpréter comme conduisant à la création d’une enclave administrative échappant à tout contrôle du pouvoir central.
II. DÉFAUT DE VALIDITÉ DE LA DÉCISION DU DG DU CNSP AU REGARD DE L’INOBSERVATION DES LIMITES DES COMPÉTENCES PARTAGÉES AVEC D’AUTRES DIRECTIONS GÉNÉRALES
En vertu de l’article 7 du Décret D/2022/0024/PRG/SGG du 12 janvier 2022 portant attributions et organisation du Ministère de la pêche et de l’économie numérique, pour accomplir sa mission, le Ministère de la Pêche et de l’économie maritime est aussi composé d’organismes publics autonomes que sont : le Centre national des sciences halieutiques de Boussoura ; le Centre national de surveillance et de police des pêches ; l’office national de contrôle sanitaire des produits de la pêche et de l’Aquaculture ; l’Agence nationale de l’Aquaculture de Guinée ; le Complexe industriel de pêche et de commerce. Au titre de l’article 11 de ce décret 0024, « les décrets du président de la Transition fixent séparément les Statuts des organismes publics autonomes ».
Le défaut de validité de la décision en cause tient essentiellement à la réglementation par un Directeur général, de sujets soumis à un régime de compétences partagées entre plusieurs directions générales. Ce propos peut être illustré sur deux points suffisants pour rendre compte de l’invalidité de la décision du Directeur général du CNSP. Il s’agit d’une part, de la question de la lutte contre la pêche illicite et, de la question des unités de transformation et de conservation, d’autre part.
Sur le premier point qui se rapporte à la lutte contre la pêche illicite, au titre de l’article 4 du Décret D/0386/PRG/CNRD/SGG du 18 août 2022 portant attributions, organisation et fonctionnement du Centre national de Surveillance et de Police des pêches, le CNSP est notamment « chargé de Surveiller des zones de pêche ». Sur le fondement des diverses dispositions de cet article 4, le Directeur général du Centre national de surveillance et de police des pêches (CNSP) a pris la décision suivante : « Décision D/2024/ 031/CNSP/DG portant la mise en place d’une Cellule à Kamsar chargée du contrôle des activités illicite de pêche INN de suivi des débarquements des transbordements et empotages ». Au titre de l’article 1er de cette décision, « Il est mis en place au niveau de la base de Surveillance de Kamsar, une Cellule de contrôle des activités de pêche illicite non déclarée et non réglementée (INDNR) (…) ».
Or, suivant l’article 5.2, du Décret D283 du 21 octobre 2019 portant Statuts de l’Office national de Contrôle sanitaire des Produits de la Pêche et de l’Aquaculture (point 23), l’Office national de contrôle sanitaire des produits de la pêche et de l’Aquaculture est notamment chargé de : « De participer à l’éradication de la pêche illicite, non déclarée, non réglementée (INN) ». Au titre de l’article 15 de ce décret, « Sous réserve des pouvoirs de l’autorité de tutelle, le Conseil d’administration est habilité à prendre toute décision concernant les objectifs, l’organisation, la gestion et le fonctionnement de l’ONSPA ».
Sur le deuxième point qui est relatif aux unités de transformation et de conservation, suivant l’article 1er de la décision prise par le Directeur général du CNSP (Décision D/2024/ 031/CNSP/DG portant la mise en place d’une Cellule à Kamsar chargée du contrôle des activités illicite de pêche de suivi des débarquements des transbordements et empotages), « Il est mis en place au niveau de la base de Surveillance de Kamsar, une Cellule de contrôle des activités de pêche illicite non déclarée et non réglementée (INDNR) de suivi des débarquements, empotages des transbordements, des unités de transformation, des conservations et des transports de produit de pêche ». La décision intègre les questions se rapportant aux « unités de transformation, des conservations et des transports de produit de pêche ».
Or, suivant l’article 5.2., l’Office national de contrôle sanitaire des produits de la pêche et de l’Aquaculture est notamment « chargé : d’élaborer et d’exécuter les opérations d’inspection et de contrôle sanitaire des produits, des moyens de production, de transport, des unités de traitement, de conservation et des zones de production » (Point 6). Elle est également chargée d’élaborer les méthodes et procédures de contrôle et d’inspection fiables et transparentes pour les produits, les moyens de production et de transport, les unités de traitement et de conservation, les sites de vente, et des zones de production (Point 13). L’Office national est chargé de participer à l’examen de tous les dossiers relatifs à l’installation, à la construction d’infrastructures de manipulation et de transformation des produits halieutiques (point 18).
Ces dispositions appellent un commentaire. Premièrement, elles révèlent que la question de la lutte contre la pêche illicite ‘réglementée’’ par le directeur général du CNSP relève de la compétence partagée entre le CNSP et l’Office national de contrôle sanitaire des produits de la pêche et de l’Aquaculture qui est aussi un établissement public. Deuxièmement, elles enseignent que les questions se rapportant aux unités de transformation et de conservation ne relèvent pas de la compétence exclusive du CNSP mais d’une compétence également partagée avec l’Office national de contrôle sanitaire des produits de la pêche et de l’Aquaculture.
En réglementant – dans des conditions elles-mêmes illégales, compte tenu du rôle méconnu du Conseil d’Administration – une question relevant de la compétence partagée avec d’autres directions générales, le Directeur général a agi ultra vires ; il a excédé ses pouvoirs. La décision qui en résulte est conséquemment nulle ab initio pour violation flagrante des textes réglementaires précités. Or, suivant l’article 59 du Décret D/0386 du 18 août 2022 portant attribution et organisation du CNSP, la tutelle peut faire valoir son droit d’opposition, si la décision est contraire à la réglementation du CNSP.
Il est évidemment plus raisonnable et conforme à la loi et aux règlements qu’en cas de nécessité de service, une question relevant d’une compétence partagée entre plusieurs directions fasse l’objet de l’intervention de la tutelle technique qui, au surplus, est investie du pouvoir réglementaire a fortiori quand on sait que « Le ministre exerce son autorité sur l’ensemble des services, organismes publics, programmes et projet publics relevant de sa compétence ». (L/025 du 3 juillet 2018 portant organisation générale de l’Administration publique, art. 14).
En tout état de cause, dans l’exercice de ses fonctions, « Tout agent de l’Etat doit être animé d’un esprit de bonne collaboration ». (Loi 0027 du 9 juin 2019 portant Statut général des Agents de l’État, art. 55). Une prescription différente laisserait supposer qu’un agent de l’Etat pourrait être animé d’un esprit de défiance ou de mauvaise collaboration avec les supérieurs. Une telle hypothèse relèverait d’un contresens juridique. Un esprit de bonne collaboration de la part d’un quelconque agent de l’État fut-il un Directeur général, ce n’est ni l’empiètement de compétences ni l’excès de pouvoir encore moins l’affirmation d’une volonté de défiance déraisonnable et injustifiée. Un esprit de bonne collaboration, c’est le recours aux voies administratives appropriées ou, plus simplement, au dialogue avec les autorités supérieures lorsque, dans l’exercice de ses fonctions, un agent de l’Etat, fut-il un directeur général, se fait une certaine interprétation de la règle de droit de nature à faire échec à une décision précédente de son autorité de tutelle technique.
Relevons, en outre, que « Le ministre est personnellement responsable de la politique sectorielle relevant de sa compétence. Il répond devant le premier ministre de tous faits et actes des services techniques déconcentrés du ministère et des organismes autonomes placés sous sa tutelle ». (L/025 du 3 juillet 2018 portant organisation générale de l’Administration publique, art. 16). Si cette disposition ne peut pas être interprétée comme conférant à un ministre le pouvoir d’ignorer la répartition légale ou réglementaire (pour ce qui est réglé par décret) des compétences entre les services et organismes autonomes placés sous sa tutelle, comment pourrait-on imaginer – sans s’inscrire dans une logique de violation flagrante des lois et règlements – qu’un Directeur général puisse s’octroyer le pouvoir de modifier la répartition légale et réglementaire des pouvoirs entre diverses directions générales ? Toute mesure prise ultra vires comme c’est le cas, en l’espèce, de la « Décision D/2024/ 031/CNSP/DG portant la mise en place d’une Cellule à Kamsar chargée du contrôle des activités illicite de pêche INN de suivi des débarquements des transbordements et empotages » est nécessairement illégale. Car, en définitive, la règle de droit ne se borne pas à définir les actes qui sont possibles. Non seulement elle désigne le titulaire du pouvoir, mais elle définit également la procédure à laquelle leur édiction a vocation à obéir pour être réguliers et valides.
Jean Paul KOTEMBEDOUNO
Docteur en Droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne